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coalition « antidreyfusarde » était le même qui, à chaque crise, se reformait, depuis 1871 contre la République et, devant le nouveau danger, une fois de plus, il avait repris sa place de bataille à l’extrême-gauche de l’armée républicaine parmi laquelle se manifestaient tant d’indécisions. Il avait, du reste, à lutter contre des socialistes qui ne pouvaient admettre une nouvelle « déviation » de la ligne de conduite tracée au prolétariat et qui affirmaient qu’il fallait laisser aux éléments bourgeois en lutte ouverte le soin de régler leurs conflits en lesquels les travailleurs n’avaient sans doute rien à perdre que leur temps et leur énergie et certainement rien à gagner. C’était là la tactique qui avait déjà été conseillée, préconisée ; elle ne put prévaloir auprès de la majorité qui se rendit parfaitement compte de tous les dangers que cachait la campagne antisémite et soi-disant patriotique.

Elle était grave, en effet, cette crise, plus grave que le mouvement boulangiste, en ce sens qu’elle ne se déroulait plus autour et en faveur d’une personnalité en vue de l’armée. C’était toute l’armée elle-même qu’on tentait de mettre en cause ; c’était une question troublante de défense nationale que l’on posait, avec l’espoir d’agiter tout le pays. Mais, cette fois, le pays se ressaisit plus rapidement que jamais, après avoir été divisé au plus haut point. Il eut, dans son ensemble, plus de droiture et d’énergie morale, plus de clairvoyance, de décision, que ses représentants et ses gouvernants qui, à la fin, ne se décidèrent à agir que sous sa pression calme mais irrésistible. Les faits démonstratifs, du reste, s’étaient accumulés avec une rapidité foudroyante et il était bientôt apparu que toute l’affaire Dreyfus, depuis la première phase jusqu’au procès de Rennes, avait été l’œuvre d’un groupe de faussaires audacieux auxquels, comme cela est si souvent advenu, l’impunité devait être assurée. Un seul des coupables, le colonel Henry, s’était fait justice courageusement, bouc émissaire de ceux pour lesquels il avait travaillé.

La lutte était arrivée au plus haut point d’exaspération quand, le 16 février 1899, le président Félix Faure mourut subitement.

Le 18, M. Émile Loubet était élu président de la République, par 483 voix contre 279 à M. Méline, pour qui la réaction avait voté avec un remarquable ensemble. On savait M. Loubet partisan de la révision du procès Dreyfus ; il n’en fallait pas davantage pour déchaîner contre lui toutes les bandes anti-dreyfusardes et nationalistes. Son retour de Versailles à Paris fut marqué par des scènes scandaleuses ; insuffisamment protégé par une escorte hostile, que maintenaient à peine dans le devoir les rigueurs de la discipline militaire, le nouveau président de la République fut hué, injurié, et ce fut un scandale inouï.

Le jour des funérailles de M. Félix Faure (23 février), comme les troupes regagnaient leurs casernes, M. Paul Déroulède essayait de provoquer une sédition militaire, d’entraîner sur l’Élysée la brigade stationnée à Reuilly et commandée par le général Roget. Dans ce faubourg Saint Antoine, si