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ment considérable avaient pénétré dans les municipalités de province et de Paris. Les élections législatives de la même année allaient encore accuser ses progrès ; désormais, au Palais-Bourbon, un groupe socialiste s’était formé dont l’action était puissante sur l’opinion. Déjà, le besoin se faisait sentir de concentrer toutes les forces éparses du parti socialiste français et des tentatives s’esquissaient dans ce but. Il ne devait pas encore être atteint, car des divisions nouvelles, aiguës, se produisirent au Congrès de Nantes où fut discutée et adoptée, malgré la vive opposition des représentants du parti socialiste français, l’idée de la grève générale.

Mais une nouvelle série de crises allait s’ouvrir et rappeler les heures les plus agitées, les plus pénibles du mouvement boulangiste. L’affaire du Panama était à peine apaisée qu’un nouvel attentat anarchiste stupéfiait l’opinion : Le 24 juin 1894, un italien, Caserio, poignardait le président de la République à Lyon, où il s’était rendu pour visiter l’Exposition universelle. Cet attentat provoqua la plus profonde indignation dans tous les partis ; il devait être l’occasion de nouvelles mesures contre la propagande anarchiste, dont s’éloignaient de plus en plus, pour se confiner dans le domaine de la pure théorie, certains d’entre ceux dont l’influence avait donné de si lamentables résultats.

Ce fut M. Casimir-Périer qui succéda à M. Sadi-Carnot ; sa présidence fut brève mais fort agitée. Il atteignait la magistrature suprême accueilli par une rare impopularité, d’autant plus marquée qu’elle se doublait de celle du président du Conseil. Il fut violemment attaqué par la presse. Gérault-Richard, entre autres, publia dans le Chambard un article portant pour titre : A bas Casimir ! qui, malgré une éloquente défense du citoyen Jaurès, lui valut une condamnation à un an de prison et 3.000 francs d’amende. À cette condamnation, les électeurs parisiens devaient riposter en envoyant le journaliste socialiste siéger au Palais-Bourbon. Ces attaques quotidiennes réitérées lassaient, irritaient le président de la République, d’humeur indépendante mais perdant aisément son sang-froid. Une nouvelle crise, plus grave que celles que venait de traverser la République, s’ouvrait ; elle allait déterminer à bref délai la retraite prématurée de M. Casimir-Perier et désorganiser tous les partis politiques désorientés.

Vers la fin de l’année 1894 un officier israëlite, Alfred Dreyfus, capitaine d’artillerie, breveté d’état-major, attaché au premier bureau de l’état-major de l’armée, était arrêté sous l’accusation d’avoir livré, vendu à l’Allemagne des documents d’un haut intérêt pour la défense nationale. Les 19-21 décembre, jugé à huis-clos par un conseil de guerre, il était condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée. Quelques jours après, dans une des cours de l’École militaire, parmi une « parade » militaire au plus haut point émouvante, il était dégradé, mais avec une énergie sans égale, qui fut qualifiée de cynisme, le condamné supporta l’effroyable épreuve et d’une voix ferme, assurée, il clama son innocence. L’unanimité des juges pour la condamnation ne laissait