rester en fonctions. La grève se prolongea, malgré cet arbitrage, et le travail ne reprit que le 3 novembre, après que les derniers condamnés eurent été graciés.
Cette grève avait eu un résultat politique local, elle avait provoqué la démission de M. de Solages, député de la circonscription. Après avoir fait la conquête de la municipalité de Carmaux, les travailleurs, gagnés par la propagande socialiste qui venait de recevoir un vif élan, allaient faire la conquête de la circonscription en élisant Jean Jaurès dont l’action à la Chambre et dans le pays allait devenir si considérable.
Mais voici qu’un nouveau scandale éclatait, celui du « Panama » qui devait, une fois de plus, agiter la France entière. De pressantes réclamations, attisées par les partis politiques qui ne pouvaient se résigner à leurs défaites successives et profitaient de toutes les occasions pour susciter des troubles, se faisaient entendre de la part de tous ceux qui avaient engagé des fonds dans l’entreprise du percement de l’isthme de Panama ; à ces réclamations nombreuses se joignaient de vagues accusations contre certains membres du Parlement, des personnalités en marge de la Chambre et du Sénat et contre certains organes de la presse ; ils avaient trafiqué de leurs mandats, de leur influence pour faire aboutir le dernier emprunt de 720 millions autorisé le 8 juin 1888. L’opinion était émue, elle exigeait que de la clarté fut projetée sur cette aventure louche, d’autant qu’il paraissait avéré que le canal ne pourrait être terminé et qu’une formidable collection de capitaux avait été drainée parmi les petits rentiers et les modestes épargnistes. Une spéculation effrénée, des malversations emportaient, comme cela arrive trop fréquemment, une entreprise grandiose dont les conséquences économiques et politiques pouvaient être si considérables.
A la pression énergique, violente de l’opinion publique, la Chambre céda en nommant une Commission de 33 membres « chargée de faire la lumière sur les allégations portées à la tribune à l’occasion des affaires de Panama ». Dès lors, l’affolement s’empara du monde parlementaire et les Cabinets se succédèrent, les uns parce qu’ils voulaient faire toute la lumière, les autres parce qu’ils tenaient à en faire le moins possible. Les accusations les plus graves, les plus formelles étaient dirigées contre les personnalités les plus en vue de la politique ; vingt-six chèques avaient été découverts au cours d’une perquisition dans une banque avec laquelle le baron de Reinach, dont le suicide restait si mystérieux, avait été en relations d’affaires. Ils représentaient une somme globale de trois millions et demi qui avaient été employés à reconnaître les services d’hommes politiques. Le gouvernement, M. Ribot était à la présidence du conseil, affolé, laissait adresser à la Chambre et au Sénat des demandes en autorisation de poursuites contre des députés et des sénateurs ― un seul devait être condamné, M. Baihaut, car il avait avoué. Le cabinet Ribot se désagrégeait, puis faisait place au cabinet Dupuy dont l’action contre les socialistes et les travailleurs organisés devait être si maladroite, si brutale.