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Cour d’assises chargée, en 1891, du procès des anarchistes de Levallois-Perret, se produisait une formidable explosion ; le 15, une charge de dynamite éclatait à la caserne Lobau ; le 27 du même mois, rue de Clichy, une bombe détruisait en partie la maison habitée par M. Bulot qui, en qualité de substitut, avait prononcé le réquisitoire contre les anarchistes de Levallois-Perret. Cette succession aussi rapide qu’inattendue d’explosions provoqua un vif émoi et une légitime indignation. L’auteur de l’attentat du boulevard Saint-Germain, Ravachol, dont le signalement avait été répandu par la presse, fut reconnu, boulevard Magenta, dans un débit de vins, par un garçon de l’établissement et, sur ses indications, il fut arrêté. Quelques jours après l’établissement sautait ; le propriétaire, sa femme, sa fille et un client, complètement étrangers à l’arrestation de Ravachol, étaient mortellement blessés.

L’opinion publique était terrifiée, exaspérée ; elle réclamait d’énergiques mesures. Un projet de loi fut déposé par le ministre de l’Intérieur ; il concernait la presse et avait un double caractère préventif et répressif assez rigoureux. Après un grand débat et malgré une nouvelle explosion qui coûta la vie à cinq personnes, ce projet ne fut adopté que sensiblement amendé ; quant à Ravachol, il fut condamné aux travaux forcés à perpétuité ; plus tard il devait être condamné à mort pour crime de droit commun, par la Cour d’assises de la Loire.

Tels étaient les plus clairs résultats d’une propagande qui s’exerçait non seulement contre les partis possédants et dirigeants, mais encore et surtout contre l’ensemble du parti socialiste, sous le couvert des idées de liberté individuelle poussées jusqu’à ses plus extrêmes limites et de la nécessité d’une transformation sociale. Ils ne pouvaient avoir d’autres effets que de troubler profondément les travailleurs, les éloigner de l’action socialiste et les refouler vers les partis de conservation sociale. Toutefois, il faut noter ce fait que, dans la classe ouvrière, la confusion que certains eussent souhaitée entre les socialistes et les anarchistes ne s’établit pas et que les progrès des idées n’en furent pas ralentis. La politique coloniale engagée sur différents points de l’Afrique et en Extrême Orient se poursuivait activement partout ; la pacification du Tonkin et de l’Annam imposait encore de lourds sacrifices ; la pénétration au Soudan progressait lentement et le général Dodds poursuivait la conquête du Dahomey. Comme cela advint en chaque expédition lointaine, des dissentiments graves s’étaient produits entre le département de la guerre et celui de la marine, ce dernier se montrant trop régulièrement au-dessous de sa tâche, au point de vue de l’organisation. Du conflit qui s’éleva se produisît la retraite de M. Cavaignac qui fut remplacé par M. Burdeau.

Le Parlement poursuivait la discussion de lois à l’ordre du jour depuis plusieurs années déjà mais l’élaboration en était lente surtout en matière de législation ouvrière ; ce ne fut qu’à grand peine que fut adoptée la loi réglant les conditions du travail des femmes et des enfants dans les manufactures ;