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établis, le désintéressement de l’action directe en matière politique, mais il avait tout au plus rencontré une respectueuse déférence de la part des cardinaux dont un seul, le cardinal Lavigerie, sans influence sur le clergé, avait adhéré à la République. Le pape aurait voulu voir le clergé se confiner dans son rôle d’éducateur, de consolateur. Sa tâche n’était-elle pas assez belle, assez élevée, de consoler les souffrants, de les réconforter ? Et la condition des travailleurs sollicitait son attention ; il manifestait une bienveillance toute particulière à ceux qui, dan le clergé et parmi les défenseurs de l’Église, s’occupaient des questions ouvrières. C’était là une tactique habile et qui eut pu offrir quelques dangers pour la démocratie, si le clergé français avait été capable de la comprendre et de l’adopter ; il aurait trouvé des appuis et des défenseurs jusque dans les rangs du parti républicain, en grande majorité hostile au socialisme, même aux réformes réellement efficaces. Ce fut peine perdue : le clergé français restait plus royaliste que le roi, plus ultramontain que son pape.

Or, voici qu’un jésuite, le P. Le Moigne, s’inspirant des vues de Léon XIII, avait entrepris de traiter les questions ouvrières, dans l’église Saint-Merri, en une série de conférences. Il avait abordé la question du paupérisme et comparant l’état social avant et après 1789, il avait dressé un véhément réquisitoire contre la Révolution française, l’accusant d’avoir trahi toutes les espérances du monde ouvrier et de ne lui avoir légué que la misère et la faim. Dans la bouche d’un défenseur de l’Ancien régime ce langage était normal, mais l’impudence était grande de le tenir publiquement. Les conférences du père jésuite ne manquèrent pas de produire un grand effet, mais combien contraire à celui qu’il escomptait. En foule, des travailleurs se rendirent à l’église Saint-Merri et aux attaques contre la Révolution française ils répondirent par des clameurs, par le chant de la Marseillaise. Ce grave incident fut porté à la Chambre par voie d’interpellation et provoqua un vif débat au cours duquel le président du Conseil, tout en affirmant son respect de la religion, déclara que le Cabinet était résolu d’une part à faire respecter la liberté du culte, mais d’autre part, à interdire toute critique et toute censure des actes du gouvernement et des lois de l’État. « Si, ajoutait-il, il se produit des conflits graves dans l’église Saint-Merri ou ailleurs, le ministre de l’Intérieur, qui a la garde de la tranquillité publique, prendra les mesures nécessaires et n’hésitera pas à aller jusqu’au bout, jusqu’à la fermeture de l’édifice ». L’attitude du président du Conseil reçut l’approbation de la majorité de la Chambre. Mais l’agitation des échauffés du cléricalisme que n’avait pu apaiser la défaite du boulangisme désormais sans chef ; — découragé, déçu, abandonné de la plupart de ses courtisans et de ses bailleurs de fonds de la veille, il s’était brûlé la cervelle, au cimetière d’Ixelles, — se compliquait d’une série de faits graves, résultats de la propagande par le fait appliquée par des anarchistes. Le 11 mars 1892, au numéro 136 du boulevard Saint-Germain, où logeait un juge, M. Benoît, qui avait présidé la