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progrès marqués ; elle inquiétait non seulement les partis politiques mais encore et particulièrement les deux grandes fractions du Parti socialiste qui avaient la notion bien nette du tort considérable que faisait à leurs progrès cette action, violente, désordonnée qui, sous des aspects parfois séduisants au point de vue théorique, ne pouvait donner que de funestes résultats. D’autant que, fréquemment, les réunions socialistes étaient troublées par les orateurs anarchistes et leurs compagnons et qu’il s’élevait des rixes graves.

Dans la Fédération des Travailleurs socialistes de France, qui venait de si vaillamment se conduire pour la défense de la République, un profond désaccord commençait à se manifester sur des questions de tactique, aussi il faut le reconnaître, sur des questions de personnes et une scission grave allait se produire au Congrès de Châtellerault ; mais elle ne devait pas avoir l’influence fâcheuse qu’on redoutait sur le développement général du Parti qui s’accusait partout et se manifestait à chaque fois qu’une occasion électorale se présentait. Déjà les socialistes avaient conquis des sièges dans plusieurs municipalités et, à la Chambre, un petit groupe de députés, se formait en marge de l’Extrême-Gauche. À l’Hôtel de Ville de Paris, en 1890, une dizaine de socialistes révolutionnaires portaient à la tribune les différents articles du programme et les défendaient avec talent et énergie.

Le cabinet Tirard, dont s’était séparé M. Constans, était tombé sur la question du traité de commerce avec la Turquie ; ce fut un cabinet de Freycinet qui lui succéda, le 17 mars 1890. M. Constans y détenait le portefeuille de l’Intérieur, M. Bourgeois celui de l’Instruction publique, M. Ribot avait les Affaires étrangères, M. Rouvier les finances. MM. Jules Roche et Yves Guyot avaient, enfin, conquis une situation ministérielle : le premier était au Commerce, le second aux Travaux publics. Ils ne se sont jamais consolés d’avoir perdu leur portefeuille et ils n’ont jamais pardonné à la République d’avoir osé et pu se passer de leur précieux concours.

Sous ce ministère eût lieu la mémorable visite d’une escadre française, commandée par l’amiral Gervais, à Cronstadt (juillet 1891) où l’accueil le plus enthousiaste se manifesta : un accueil plus enthousiaste encore devait accueillir nos marins à Saint-Pétersbourg. C’est ainsi que les deux gouvernements français et russe préludaient à ce qui devait devenir d’abord l’entente, puis l’alliance franco-russe.

Déjà les polémiques les plus vives s’élevaient au sujet du rapprochement entre les deux pays, les uns y voyant un gage assuré du maintien de la paix, un contre-poids à l’influence allemande, un avantage sérieux en cas de conflagration européenne ; d’autres y pressentaient, au contraire, un encouragement à une politique belliqueuse, de revanche, et blâmaient hautement une orientation qui menaçait d’engager la France avec une nation mal organisée au point de vue militaire, incapable d’un effort soutenu, déterminant, en cas de guerre avec l’Allemagne ; enfin, ils trouvaient incompréhensible, inexcusable,