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bien solides ou sans conscience, ont délibérément marché avec la faction, prétextant qu’elle portait en elle les germes d’un mouvement révolutionnaire ! Comme s’il n’était pas évident qu’une agitation à laquelle collaboraient les pires réacteurs, les cléricaux les plus notoires, ne pouvait dévier au profit du socialisme, même au simple bénéfice de la République ?

Les socialistes qui firent masse avec les républicains, furent guidés par cette sensation simple, élémentaire, qu’avant tout, dans l’intérêt du pays, de la France de la Révolution, du socialisme lui-même, il fallait sauver la République d’une catastrophe analogue à celle du 2 décembre 1851 et que leurs positions, leur campagne de propagande, ils reprendraient le tout quand le danger serait écarté. Le citoyen Chabert avait parfaitement défini la situation quand, dans une formule impressionnante, il définissait la République « l’outil nécessaire de l’émancipation des travailleurs » ; malgré son âge, ses fatigues, il combattait dans les rangs républicains. Du reste, au cours de leur propagande antiplébiscitaire, les socialistes ne manquaient aucune occasion d’établir le bilan des fautes accumulées par les partis républicains bourgeois, depuis leur arrivée au pouvoir ; de développer leur programme, de convier les travailleurs à se préparer à la conquête du pouvoir politique, afin de fonder leur république à eux, la République sociale, La République, vivant, persistant, ils la pouvaient améliorer ; si elle périssait, il la faudrait ressusciter, c’est-à-dire perdre encore des années et des années à lutter contre la réaction triomphante qui, dès le lendemain de sa victoire, s’empresserait de supprimer les maigres libertés concédées par la République née depuis quelque temps à peine.

La crise boulangiste apaisée, ils reprenaient, en effet, leur campagne de programme, toujours prêts, comme ils devaient le prouver encore au cours de la crise nationaliste, à rallier le drapeau républicain, pour le défendre contre les entreprises de ses ennemis traditionnels et de ses ennemis d’aventure.

Mais un mouvement particulier qui était appelé à prendre plus tard une extension considérable, se manifestait déjà dans le monde du travail qui commençait à mettre en pratique la théorie de la lutte des classes, de la constitution du prolétariat en un parti distinct opposé à tous les partis politiciens, vivant de ses propres ressources et s’orientant par ses propres moyens. Cette tendance se manifestait assez nettement dans les bourses du travail qui s’étaient créées et dans les syndicats qui y avaient d’abord adhéré. Depuis qu’à Lyon, en 1886, s’était fondée la Fédération nationale, les congrès corporatifs, sous l’influence des partis socialistes, étaient entrés dans la voie révolutionnaire et celui de Bordeaux, tenu en 1888, déclarait que « la grève générale ou la révolution » pouvait seule entraîner les travailleurs vers leur émancipation. En outre une résolution invitait les travailleurs « à se séparer nettement des politiciens qui les trompent. »

La propagande anarchiste que n’avaient pu complètement enrayer les poursuites judiciaires exercées contre elle, à Lyon, en 1883 et depuis, faisait des