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Déjà leur intervention donnait d’appréciables résultats. Dans l’Ardèche, la candidature du général essuyait une défaite magistrale ; quelques mois auparavant, le chef de la Ligue des Patriotes, M. Déroulède, avait été battu dans la Charente. Toutefois, au scrutin du 19 août, le général était élu, avec d’imposantes majorités, dans la Somme, la Charente-Inférieure et le Nord. Enfin, dans un moment d’oubli, le 27 janvier 1889, Paris l’élisait contre M. Jacques, candidat de la Concentration républicaine. Quinze jours après cette élection qui eut un grand et douloureux retentissement, le ministère Floquet se retirait et M. Tirard prenait le pouvoir, trouvant le scrutin d’arrondissement substitué au scrutin de liste.

C’était l’année où devait se tenir l’Exposition internationale, en vue de laquelle de grands préparatifs avaient été faits, l’année où devaient avoir lieu les élections générales. Dans de bien fâcheuses conditions elle se présentait. Mais, dans le nouveau ministère, se trouvait un homme peu populaire, fort décrié, sur lequel la presse boulangiste faisait courir les bruits les plus graves, le représentant comme un brasseur d’affaires louches ; des accusations formelles étaient venues, par l’organe de M. G. Laguerre jusqu’à la tribune du Palais-Bourbon. M. Constans qui détenait, dans le nouveau Cabinet, le porte-feuille de l’Intérieur, était un homme de ressources ; il le démontra bientôt. La Ligue des Patriotes fut dissoute ; des poursuites autorisées par la Chambre furent ordonnées contre trois députés, MM. Laguerre, Turquet et Laisant et, enfin, le bruit circula que le général Boulanger ainsi que les principaux chefs du Parti boulangiste allaient être arrêtés. Le général, le comte Dillon et M. Rochefort s’empressèrent de passer la frontière. C’était tout ce que voulait le gouvernement. Ce fut une première et grande déception pour la majorité de ceux qui avaient adhéré à la faction, s’y étaient lancés à corps perdu, s’y étaient compromis, de voir leurs chefs si belliqueux, les abandonner, se mettre à l’abri, dès la moindre menace. Décidément, leurs héros manquaient d’héroïsme. De ce jour data une salutaire réaction. L’appoint des forces socialistes qui comptaient des représentants au Conseil municipal de Paris, Vaillant, Lavy, Joffrin, Simon-Sœns, Réties, Brousse, Faillet, Chabert, avait joué un rôle important dans la lutte contre le boulangisme. Leur rôle n’était pas terminé, car tout danger n’avait pas encore disparu. Partout, et au premier rang, propagandistes et militants affrontaient les foules délirantes qui acclamaient le général factieux et, fréquemment, c’étaient de véritables batailles qui se livraient dans des réunions tumultueuses.

L’exposition internationale fut une trêve heureuse et féconde : la commémoration des grandes dates de la Révolution redressa la conscience populaire déviée par une perturbation extraordinaire ; le 13 juillet, la Chambre avait adopté la loi sur les candidatures multiples ; le 14 août, le Sénat constitué en Haute-Cour, frappait, par contumace de la peine de la déportation dans une enceinte fortifiée, le général Boulanger, le comte Dillon et M. Rochefort ;