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détails l’évolution du mouvement boulangiste organisé avec son Comité de protestation nationale, doté de sommes formidables, outillé d’organes nombreux, groupant toutes les forces vives de la réaction fraternellement alliées avec des révolutionnaires qui n’avaient pas hésité à patronner un des chefs militaires qui s’était particulièrement distingué durant la répression de mai 1871. Il faut nous borner à en souligner les points saillants et les répercussions.

Le cabinet Tirard avait été renversé sur une question de révision constitutionnelle présentée par MM. C. Pelletan, G. Clémenceau et Andrieux. Un ministère Floquet lui succéda. Il devait trouver devant lui, comme député, le général qui avait élu dans la Dordogne, le Nord et avait opté pour ce dernier département. On escomptait son action au Parlement ; elle fut nulle, car il se rendit ridicule par son attitude hautaine et prétentieuse. Il donna connaissance de son programme dont les articles essentiels figuraient dans le traditionnel programme républicain de l’extrême-gauche. Il visait surtout l’organisation du gouvernement direct, le référendum, non la suppression du Sénat, mais son élection par le suffrage universel. Ce programme il en avait fait une proposition ferme de révision constitutionnelle ; l’urgence fut repoussée. Enfin, le 18 juillet 1888, il remontait à la tribune pour proposer la dissolution de la Chambre. Sa proposition décida une intervention très vive du président du Conseil, M. Floquet, et une altercation s’en suivit qui motiva contre le général l’application de la censure. Il avait compris qu’il n’y avait pour lui rien à obtenir de la Chambre et il donna sa démission, puis il adressa des témoins à M. Floquet ; une rencontre fut décidée et le général reçut un coup d’épée dans la gorge, fort léger du reste, — simple piqûre d’amour-propre.

Cependant, le Parti républicain, devant le danger menaçant pour la République, s’était ressaisi ; les membres de l’Extrême-Gauche qui avaient introduit le général dans la politique active et en avaient fait un ministre de la guerre, l’avaient soutenu, revenaient de leur grave erreur. Une concentration républicaine se formait pour s’opposer à la coalition de toutes les forces réactionnaires et démagogiques et une notable fraction du Parti socialiste, la Fédération des Travailleurs socialistes de France y adhérait, plaçant momentanément au-dessus de toute considération la défense de la République. La Société des Droits de l’Homme se dressait en face du Comité de protestation nationale. Sans se réconcilier, prêts à reprendre leurs positions respectives de combat le danger passé, des adversaires, hier irréductibles, combattaient côte à côte : M. Ranc qui représentait la politique gambettiste, M. Clemenceau la politique radicale-socialiste et Jules Joffrin qui, à l’Hôtel de Ville, dans la propagande quotidienne, défendait avec la plus vive ardeur et un remarquable sens politique les revendications révolutionnaires.

Presse restée fidèle à l’opinion républicaine, propagandistes, tous faisaient une campagne acharnée contre le mouvement devenu césarien et plébiscitaire.