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Ce fut dans tout le pays un mouvement d’opinion inouï ; il faut reconnaître, toutefois, que les masses paysannes ne s’y laissèrent pas prendre ; elles virent les réactionnaires, les cléricaux qui, d’abord, à la suite de l’expulsion des princes, avaient manifesté la plus violente hostilité au général Boulanger, ministre « radical » de la guerre, se faire ses plus chauds partisans, et cela éveilla toutes leurs méfiances ; elles comprirent que, sous couleur de patriotisme et d’honnêteté politique, c’est à la République que la coalition en avait, et elles ne se laissèrent pas influencer ; elles restèrent ce qu’elles étaient lentement devenues ; des masses républicaines, soucieuses de la paix extérieure et de la tranquillité intérieure.

La crise provoquée par l’affaire Wilson-Caffarel-Limouzin entra dans sa période la plus aiguë, le jour où la Chambre, à l’unanimité moins une voix, autorisa les poursuites contre M. Wilson ; quarante-huit heures après, le cabinet Rouvier était renversé et M. Grévy, dans l’impossibilité de constituer un nouveau ministère, cédait aux sommations formelles du Parlement, en donnant, le 2 décembre, sa démission.

Cette démission aurait sans doute amené une détente, si ne s’était immédiatement présentée la perspective de la candidature et de l’élection de M. Jules Ferry à la présidence de la République. Cette perspective, qui n’avait rien d’exagéré, du reste, donna un nouvel aliment à l’agitation populaire, à Paris surtout, où elle devint particulièrement intense et permit de redouter des troubles graves. Mais M. Sadi-Carnot fut élu au second tour de scrutin, le 3 décembre ; pour quelques jours, un calme relatif fut rétabli. M. Sadi-Carnot était un républicain modéré, de tempérament maladif et calme ; le renom de l’aïeul qui avait joué un si grand rôle durant la Révolution l’auréola vis-à-vis de la foule. C’était un président de tout repos qui entrait à l’Élysée. M. Tirard fut chargé de constituer le nouveau ministère. Il aurait fallu des hommes d’énergie, de décision, pour réagir contre le mouvement boulangiste qui s’exaspérait et prenait toute l’allure d’un parti très fort, décidé aux pires aventures ; on avait compté sur un apaisement qui ne pouvait se produire.

L’année 1888 s’ouvrit donc sous de sombres présages. Les victoires républicaines allaient-elles donc être compromises par une faction ayant à sa tête un soldat rebelle ? En février, la candidature du général, encore en fonctions, par suite inéligible, était posée par un Comité d’initiative, à la tête duquel se trouvait M. G. Thiébaud, bonapartiste ardent, actif et intelligent, dans cinq départements et elle groupait 55.000 suffrages. Sur une mise en demeure, le général se défendit d’avoir manqué à la discipline militaire ; il affirmait être resté étranger à la campagne électorale : il n’avait autorisé personne à se servir de son nom, à poser sa candidature. Mais on découvrait qu’il était venu plusieurs fois à Paris sans autorisation, sous un déguisement. La mesure nécessaire qui, quelque temps après, le mettait à la retraite d’office, le rendait complètement libre. Il ne nous est pas possible de noter dans tous ses