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n’hésita pas à les démentir, quoiqu’elles fussent authentiques, ainsi que cela fut démontré plus tard.

Au cours d’une interpellation sur l’intervention de la troupe dans une grève, il avait déclaré que la présence des soldats et des gendarmes n’impliquait aucun caractère d’hostilité contre les grévistes ; qu’il ne fallait voir là qu’une sage mesure de précaution, et il avait ajouté qu’au surplus, au moment même où il parlait, gendarmes et soldats étaient peut-être en train de partager leur gamelle avec les ouvriers en chômage volontaire ! Il n’en fallait pas davantage pour séduire cette partie de la population qui, dans sa candeur touchante, sans défiance, se laisse séduire, enthousiasmer par des déclarations qu’elle n’a pas l’habitude d’entendre.

Mais voici que, le 11 décembre 1886, le ministère de Freycinet tombait sur un vote de surprise de la Chambre décidant la suppression des sous-préfets à dater du 1er janvier 1887. Un cabinet Goblet lui succédait et le général Boulanger y était religieusement conservé comme une force, tant sa popularité avait fait des progrès dans les masses populaires, à Paris et dans certains centres industriels. C’était lui qui, maintenant, pour cette partie de la France qu’hypnotisait la pensée de la revanche, incarnait le sentiment du patriotisme le plus exaspéré, le plus dangereux ; il devenait en même temps le pivot de combinaisons ministérielles élaborées par des membres en vue de l’Extrême-Gauche. La série des « fantaisies » politiques, parlementaires et militaires du ministre de la guerre serait trop longue à énumérer ; son plan se démasquait, mettait à jour ses visées ambitieuses. Le Parlement, les républicains clairvoyants, sincères, de toutes les nuances, depuis les plus modérés jusqu’aux socialistes révolutionnaires, étaient déjà fortement impressionnés par le mouvement démagogique, d’allure césarienne, qui se déchaînait et des tentatives de réaction qui s’ébauchaient, tandis que des républicains, principalement dans les fractions les plus avancées, les plus intransigeantes, voire même les plus révolutionnaires, affirmaient que le général Boulanger suivait une voie franchement démocratique, inspiré par le plus noble désintéressement. En mai, toutefois, un grave incident de frontière, l’incident Schnœbelé, se produisait ; il révélait les dangers que pouvait faire courir à la France le ministre de la guerre. Au moment où la situation diplomatique était très tendue, où le Chancelier de fer se montrait menaçant, une demande de crédit extraordinaire était déposée pour une expérience de mobilisation d’un corps d’armée. En la circonstance, l’expérience eut été considérée par l’Allemagne comme une provocation, comme un casus belli et le crédit fut, heureusement, repoussé. La chute du cabinet Goblet était, dès ce jour, décidée ; elle se produisit sur une question fort secondaire d’économies. On commençait à comprendre, dans le parti républicain, qu’il y avait impérieuse nécessité, urgence à se débarrasser d’un soldat-politicien compromettant, déjà entouré d’une clientèle plus compromettante encore.