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incohérence ; elle laissait le pays profondément troublé, donnant déjà de visibles signes de mécontentement dont toutes les réactions et une poignée de républicains ambitieux allaient profiter pour déchaîner une série de crises qui allaient agiter profondément la France et lui faire courir les dangers les plus grands.

Les électeurs étaient convoqués pour le 4 octobre ; la campagne électorale fut on ne peut plus active ; le rétablissement du scrutin de liste avait quelque peu modifié la situation et rendu toutes les propagandes plus aisées, car la lutte avait débordé le terrain trop limité des questions et des influences locales. L’Extrême-Gauche avait adopté un programme d’action nettement anti-opportuniste et anti-colonial ; il réclamait la révision constitutionnelle basée sur la souveraineté absolue du suffrage universel ; la Réforme financière ; la Séparation des Églises et de l’État ; la Réduction du Service militaire ; des lois de Protection et d’Émancipation du Travail. La plupart de ces réformes étaient peu claires dans leur énoncé et dans leur développement, surtout celles cernant le travail, mais il faut se hâter de reconnaître que l’Extrême-Gauche se trouvait fort embarrassée, car elle se trouvait placée entre le parti gouvernemental qui avait un programme modéré, il est vrai, mais précis, et le parti socialiste qui entrait une fois de plus en ligne, malgré les divisions qui l’affaiblissaient depuis qu’une scission s’était produite en 1882, au Congrès national de Saint-Étienne, entre ceux que l’on appelait les « Marxistes » et ceux que l’on allait appeler les « Possibilistes ». Les socialistes, quelle que fut la fraction à laquelle ils appartenaient, arborèrent leur programme avec son exposé de la doctrine intégrale et la série de réformes à présenter au Parlement comme autant de mises en demeure destinées à faciliter et à rendre plus effective leur propagande. La position du parti représenté par l’Extrême-Gauche était d’autant plus difficile que c’était parmi ses électeurs désabusés ou impatients que le parti socialiste devait recruter ses nouveaux adhérents.

Quant aux partis de droite, leur tactique fut simple ; ils laissèrent à peu près de côté les questions politiques ; ils avaient compris que le suffrage universel était en grande majorité fortement attaché aux institutions républicaines et ils ne voulaient pas le heurter de front. Ils s’attachèrent à se tenir sur le terrain de ce que l’on appelle la politique pratique, la politique d’affaires ; leurs critiques portèrent sur le système financier, le développement de la dette publique, l’accroissement des impôts, les dangers de la politique coloniale, la politique d’effacement devant l’Europe et particulièrement devant l’Allemagne. Ils ne négligèrent pas, toutefois, la question religieuse, sachant que si le pays était anticlérical, il était néanmoins, par habitude, attaché aux croyances religieuses traditionnelles dans les familles. Et leur ardeur devint d’autant plus vive que, dès le début de la période électorale, ils purent constater que le ministère prenait une attitude de neutralité telle que les fonctionnaires n’osèrent pas intervenir, même en qualité de simples électeurs.