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Le 4 juin venait en discussion la proposition tendant à la mise en accusation du ministère Ferry ; elle fut repoussée, et ce n’était que justice, car l’expédition du Tonkin n’avait pas été entreprise par lui ; puis, jusqu’à l’incident de Lang-Son, elle avait obtenu l’approbation de la majorité du Parlement qui avait sa large part de responsabilité sans avoir la moindre franchise ni le moindre courage. La Chambre devait, du reste, quelques jours plus tard, donner la mesure de son esprit politique en ratifiant, le 6 juillet, le traité de Tien-Tsin conclu avec la Chine ; elle avait déjà ratifié le traité de Hué et le traité avec le Cambodge, approuvant ainsi la politique coloniale de M. Jules Ferry qu’elle avait si violemment flétrie, dans un moment d’affolement, le jour où lui avait été communiquée la trop fantaisiste dépêche du général Brière de l’Isle. La Chambre et le Sénat votent la loi réduisant le service militaire à trois ans, supprimant le volontariat d’un an, mais, toutefois, créant une série de dispenses équivalant au volontariat qui devenait simplement gratuit.

Le budget vint en discussion. En cette fin de législature, le débat offrait un puissant intérêt… électoral. Ce fut pour la réaction l’occasion de vives critiques sur la gestion des finances du pays par le parti républicain. Sans doute le système financier prêtait-il le flanc à de sérieuses et justifiées critiques, mais on conviendra que ce n’était ni aux bonapartistes, ni aux orléanistes, ni aux légitimistes à les présenter, car les régimes qu’ils représentaient n’avaient pas laissé des finances prospères et des contribuables satisfaits. M. Jules Roche qui, depuis que les divers gouvernements qui se sont succédé se sont passés de ses éminents services, s’est fait le champion ardent de la coalition réactionnaire contre la politique fiscale de la République, se signala parmi ceux qui défendirent la gestion républicaine, et il apporta, à l’appui de sa thèse, des arguments solides et une éloquence impressionnante par sa clarté, sa précision.

Mais une grande, solennelle discussion allait s’élever au cours de laquelle allait reparaître M. Jules Ferry qui, durant plusieurs semaines s’était tenu à l’écart et n’avait pas reparu au Palais-Bourbon. La Chambre avait voté un crédit de 600.000 francs pour frais de première installation à Obock, un crédit de 12 millions était demandé par le Cabinet pour l’expédition de Madagascar. Favorablement rapportée par M. de Lanessan, la demande était vivement combattue par MM. G. Périn et Camille Pellétan ; M. Jules Ferry monta à la tribune et présenta une apologie passionnée de l’expansion coloniale qu’il envisageait au double point de vue du développement économique et de la défense nationale elle-même. La thèse obtint dans l’enceinte législative un succès considérable. L’ancien président du Conseil retrouvait en quelques heures une majorité nombreuse et enthousiaste ; elle parut même menaçante pour le ministère en fonction. Le crédit fut voté à une forte majorité. Les jours du cabinet Brisson étaient comptés ; il n’aurait pas longtemps résisté à l’échéance électorale ne s’était trouvée si proche.

Le 6 août, la Chambre se séparait après avoir donné le spectacle d’une rare