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tous les efforts devaient être consacrés à l’œuvre de réformation intérieure incombant à la République, les autres proclamant que la France ne devait pas être affaiblie par des expéditions lointaines ; que toutes les forces militaires devaient être réservées pour sa défense en Europe, surtout pour sa revanche des désastres de 1870-71.

Le cabinet Ferry se présenta devant le Parlement avec un programme qui, en résumé, n’était autre que celui de Gambetta, et il fut favorablement accueilli, ce qui démontrait que ce n’était pas des idées — il n’y avait pas de quoi — que la majorité avait eu peur, mais de l’homme. Il devait néanmoins rencontrer l’hostilité occulte mais active de l’Élysée plus favorable à la personne de M. de Freycinet. Et on se mit à l’œuvre. Après des discussions longues, touffues, parfois violentes, furent votées les mémorables conventions avec les compagnies de chemins de fer, alors que le rachat eut été autrement avantageux pour l’État et le public ; la réforme judiciaire, fort incomplète, mais pour l’exécution de laquelle il fallut suspendre l’inamovibilité. Enfin la révision et le changement du mode de scrutin qui avaient été les causes déterminantes de la chute du ministère Gambetta. Le scrutin de liste était adopté et le Sénat était modifié dans son recrutement, en ce sens que, par voie d’extinction, les soixante-quinze inamovibles étaient supprimés et tous les sénateurs élus pour neuf ans, avec le renouvellement triennal. Mais le cabinet devait soudain tomber dans les conditions les plus émouvantes, les plus tragiques et les plus pitoyables. Le 29 mars 1885, comme un coup de foudre, survenait la dépêche affolée du général Brière de l’Isle annonçant ce que l’on appela le « désastre de Lang-Son ». Tout semblait irrémédiablement compromis sur la frontière sino-tonkinoise ; ce n’était pas une retraite difficile mais bien une débâcle. Devant la surexcitation d’une partie de Paris toujours si impressionnable, la Chambre perdait tout sang-froid, toute orientation et, sur un discours virulent de M. Clemenceau, la Chambre rompait avec le ministère Ferry ! Vingt-quatre heures plus tard une nouvelle dépêche apaisait l’émotion, la retraite s’effectuait en bon ordre et l’échec tout momentané se présentait comme rapidement réparable ; mais le monde parlementaire se préoccupait déjà de la constitution d’un nouveau ministère. Tous les appétits étaient en éveil et les ministrables, leurs clients, se désintéressaient des événements du Tonkin.

Ce fut M. Brisson, président de la Chambre, qui composa le nouveau ministère…, un ministère de concentration républicaine ; il y entrait des éléments si divers, qu’il devait être voué à de solennels avortements. MM de Freycinet, Allain-Targé, Goblet, Sadi-Carnot, Sarcien en faisaient partie. Son programme était tout de prudence à l’intérieur et à l’extérieur. M. Floquet remplaçait M. Brisson au fauteuil de la présidence. C’était l’avènement au pouvoir du groupe l’Union républicaine qui s’était formé entre la Gauche Gambettiste et l’Extrême-Gauche.