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raison, qu’il avait tracé le plan de mobilisation et de mise en marche du corps d’armée de Bourges pour le porter sur Paris, quand avait été préparé un coup d’État, sous le Cabinet de Rochebouët, clérical, monarchiste militant, était placé à la tête de l’état-major général de l’armée ! Il y avait là de quoi rassurer l’opinion déjà émue par les accusations de dictature lancées contre celui qui venait de prendre le pouvoir et surtout donner confiance aux éléments républicains qui pouvaient se trouver dans l’armée !

C’était un défi ou une inconcevable maladresse ; l’effet en fut désastreux. Les polémiques s’en aggravèrent dans les rangs républicains ; quant aux conservateurs, loin de les apaiser, ces concessions ne firent que les rendre plus âpres, plus exigeants.

Dès sa naissance, le « grand ministère » était mortellement atteint. Aussi bien était-il sourdement miné par les manœuvres de MM. Jules Ferry, de Freycinet, Ribot, Méline et par l’Élysée où le président Grévy, sous son attitude d’apparence réservée, strictement constitutionnelle, ne cessait de s’occuper activement de politique. Le 26 janvier 1882, il s’écroulait misérablement, après l’échec de sa proposition tendant à la substitution du scrutin de liste au scrutin d’arrondissement, proposition-préface d’une révision constitutionnelle fort anodine.

Aveuglée sur ses propres intérêts de classe possédante et dirigeante, par ses passions politiques si diverses, si contradictoires, la bourgeoisie française, par l’organe de ses représentants, venait de renverser, de réduire à l’impuissance un de ses hommes les plus marquants, dont le plan lui avait certainement échappé et qui était de constituer, sous l’étiquette républicaine, un grand parti national dans les rangs duquel auraient pu prendre place tous ceux qui, partisans de « l’ordre », résolus à lutter contre les progrès du socialisme, auraient fait abstraction de leurs préférences politiques. Le clergé lui-même y aurait eu son action réservée. Toutes les forces conservatrices se sciaient groupées autour d’un programme résumé en ces articles dominants : la tranquillité au dedans ; au dehors le rôle prépondérant de la France rétabli.

Le cabinet de Freycinet qui succéda au ministère Gambetta dura juste six mois. Il avait à faire face à de graves questions extérieures dont l’évolution inquiétait le pays et l’opinion du monde entier : affaires d’Extrême-Orient où la France se trouvait engagée et affaire d’Égypte. M. Gambetta s’était prononcé pour une entente et une action commune avec l’Angleterre ; M. de Freycinet, lui, soutenait avec l’Extrême-Gauche, une politique d’abandon, redoutant des complications internationales dangereuses, Toutefois, par un brusque revirement, il se décidait à proposer une occupation militaire du Canal de Suez. La Chambre des députés repoussait la demande de crédits proposée dans ce but et par 150 voix elle renversait le Cabinet auquel 75 députés seulement étaient restés fidèles ! Les partisans de Gambetta venaient de prendre leur revanche. Ce fut un Cabinet bien effacé, présidé par M. Duclerc, qui fut constitué