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dont 42 sur les bonapartistes qui furent particulièrement écrasés. Toutefois, la lassitude qui régnait dans le pays se manifesta par un million d’abstentions de plus qu’il ne s’en était produit en octobre 1877 lors de la grande bataille contre le gouvernement du 16 mai. Les divisions du parti républicain, les complications de l’expédition de Tunisie, l’augmentation des charges fiscales n’avaient pas été étrangères à cet événement qui constituait une indication grave.

Dans la nouvelle Assemblée allait se former un groupe composé de 88 républicains radicaux qui, tout en combattant la politique de M. Gambetta, ne devaient pas toujours s’associer à la politique de M. Clemenceau devenu le véritable chef de l’Extrême-Gauche. Au point de vue parlementaire, ce groupe devait prendre une réelle importance, en ce sens qu’il formerait un appoint appréciable dans les scrutins décisifs.

Dès la réunion de la Chambre, M. Gambetta lui désigné, par 317 voix sur 350 votants, comme président provisoire. C’était là une manifestation significative, une invitation formelle à prendre le pouvoir, aussi, le tribun assagi, déclina-t-il la candidature à la présidence effective. M. Brisson fut élu et, quelques jours après, le 10 novembre, le Cabinet Ferry renversé sur la question tunisienne, après une discussion incohérente, une série de scrutins au cours desquels se manifestèrent l’affolement et les lâchetés les plus navrantes, M. Gambetta était chargé de constituer un Cabinet, celui que l’on baptisa, dès sa naissance, du titre ironique de « grand ministère » et qui devait être de si brève durée. Sans doute, s’il n’était pas grand il était copieux ; il comptait douze portefeuilles et dix sous-secrétariats d’État, MM. Paul Bert, Allain-Targé, Waldeck-Rousseau, Rouvier, Félix Faure, Raynal, en faisaient partie et M. Gambetta s’était réservé les Affaires étrangères, avec M. Spuller comme aide de camp.

Il faut convenir que la large composition du Cabinet, qui avait été d’abord annoncé comme devant englober MM. de Freycinet et Jules Ferry, fut une déception. Il apparaissait plus prétentieux que grand. Son programme parut vaste mais creux ; il voulait donner satisfaction à tout le monde et il ne pouvait faire naître que des mécontentements ; il avait surtout ce caractère d’être « anti-gambettiste », en ce sens qu’il tournait le dos au programme de Belleville, même atténué par les récentes évolutions de M. Gambetta. Pour comble, les premières mesures prises provoquèrent plus que de la surprise, de la stupéfaction : M. J.-J. Weiss, journaliste et écrivain de très grand talent, mais orléaniste avéré, qui sous le 16 mai s’était fait remarquer par sa campagne anti-républicaine et ses excitations au coup d’État, était nommé directeur au ministère des Affaires étrangères ; le général de Gallifet, celui qui s’était montré si particulièrement odieux envers les prisonniers de Mai 1871, qui avait fait enlever à Dijon une statue de la République, dont le bonapartisme était avéré, entrait au Conseil supérieur de la Guerre avec le maréchal Canrobert ; enfin le général de Miribel, dont on disait, non sans