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lois présentés, en ce qu’ils avaient de démocratique. C’est ainsi qu’en matière d’enseignement primaire, l’obligation et la gratuité étant adoptées, M. Jules Simon, au Sénat, demandait et obtenait que les « devoirs envers Dieu » figurassent dans le programme, au mépris du principe de neutralité tant de fois proclamé et qui s’imposait.

La loi sur les Syndicats subissait le même sort. Il s’agissait de faire cesser le régime de pure tolérance sous lequel étaient placés les groupements professionnels ; ils étaient à la merci de l’arbitraire et cet arbitraire prenait un aspect d’autant plus menaçant qu’au ministère de l’intérieur avait été créé un Bureau des Associations professionnelles, sous la direction de M. Barberet qui, depuis la défaite de la Commune, s’était exclusivement attaché à la reconstitution des syndicats ouvriers, s’efforçant à les maintenir sur le terrain purement corporatif et mutuelliste, à les tenir en garde contre les grèves et l’intrusion de la propagande socialiste. Le gouvernement avait fait sien, en le modifiant toutefois, le projet déposé par M. Lockroy en 1876. Sous la condition du dépôt des statuts et de la liste de leurs membres, le projet du gouvernement accordait la reconnaissance légale et la personnalité aux syndicats. MM. Lioblet, Trarieux et Ribot avaient présenté un amendement qui autorisait les associations ouvrières à se constituer librement sans être dans l’obligation de déposer ni statuts ni liste des adhérents, mais sans reconnaissance de la personnalité civile. Pour jouir de ce dernier avantage, tout syndicat devait déposer ses statuts dont l’examen était réservé aux préfets, à charge par eux de s’assurer qu’ils ne contenaient rien de contraire aux lois.

Ce projet devait traîner devant la Chambre et le Sénat jusqu’en mars 1884. Il fut, dès sa mise à l’ordre du jour, le sujet de très vives polémiques dans le monde ouvrier où les opinions étaient fort partagées. L’élément purement corporatif qui était resté fidèle aux idées et à la tactique de M. Barberet, souhaitait l’adoption du projet ; en revanche, les travailleurs qui s’étaient laisser pénétrer par la propagande socialiste, ils commençaient à être nombreux, combattaient le projet avec la plus grande énergie, préférant le régime de la tolérance avec toutes ses incertitudes, tous ses dangers, à une réglementation qui, à leur avis, les plaçait collectivement et individuellement sous la surveillance de l’autorité, c’est-à-dire de la police.

Mais un travail méthodique, réfléchi, de sang-froid, pouvait-il s’accomplir dans une Chambre où les rivalités d’ambition se manifestaient avec une acuité de plus en plus intense, que préoccupait ce que l’on appelait la « dictature occulte » de M. Gambetta, qu’inquiétaient les affaires de Tunisie et la dangereuse insurrection du Sud-Oranais où Bou-Amema venait d’infliger un grave échec au colonel Innocenti ; alors qu’une fermentation, un vif mécontentement se manifestait dans tout le pays et que des élections générales s’approchaient ? Le cabinet Ferry, pour se maintenir, car sa majorité s’effritait chaque jour davantage, brusqua la situation et, le 29 juillet, un décret déclara