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preinte cléricale et royaliste qui, si fortement répugne au caractère français, était trop visible.

De ce tableau esquissé à larges traits dans ces pages trop sommaires, se dégage l’état de division dans lequel se trouvait la France entière ; il est pour expliquer comment, après leurs écrasantes défaites, les partis de réaction purent reprendre espoir et provoquer des crises périlleuses pour le pays et la République.

Un mouvement se produit dans le monde qui, durant plusieurs années, semble devoir détourner l’attention des puissances des affaires européennes et va, cependant, l’y ramener très intense, déchaînant des troubles gros de dangers. Chaque nation cherche à augmenter le nombre de ses colonies ou à en acquérir. C’est l’Afrique qui sollicite les principaux efforts. Le continent noir sillonné, sur la côte et vers l’intérieur, par de nombreux explorateurs, par des missions ; il y a là d’incomparables richesses en matières premières précieuses pour l’industrie. La France qui a déjà dans le nord l’Algérie, sur la côte occidentale le Sénégal, va viser la conquête de points importants : au nord, entre l’Algérie et la Tripolitaine, la Tunisie ; Savorgnan de Brazza lui conquiert lentement, sans efforts militaires proprement dits, une partie du Congo ; peu à peu s’annexeront la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Dahomey, et la pénétration vers Tombouctou, le lac Tchad, s’effectuera, démontrant, trop fréquemment, que la civilisation ne se présente pas aux malheureux noirs sous des aspects civilisés et civilisateurs. Sur la cote occidentale, un établissement sera créé à Obock. Mais, en attendant qu’une grande et douloureuse expédition s’organise pour la conquête de Madagascar, la politique coloniale française s’oriente aussi et surtout en Extrême-Orient, entre le Fleuve Rouge et le Mékong, au nord de notre possession de Cochinchine, au Tonkin, en Annam.

Cette politique provoque de violentes polémiques dans la presse et dans le Parlement. Aux uns elle apparaît dangereuse, en ce sens qu’à leur avis elle détourne l’opinion de la préoccupation qui doit tout dominer, la préparation d’une revanche et la reconquête de la frontière de l’Est annexée à l’Allemagne ; la dispersion au loin de nos forces militaires et de centaines de millions ; pour d’autres elle n’est que l’appui donné à une série d’affaires financières qui, à aucun titre, ne peuvent intéresser le pays au point de lui faire courir des risques très grands. Elle est impopulaire, ceci est certain. Cependant, disaient ses protagonistes et leurs partisans, ils étaient nombreux, était-il possible de laisser un continent aussi vaste, aussi riche que l’Afrique, à la merci des concurrents nuques, alors que par ses possessions déjà acquises la France y était déjà établie ? Était-il possible de laisser incomplète l’œuvre déjà accomplie en Extrême-Orient ? Le Tonkin et l’Annam étaient le complément nécessaire de la Cochinchine, de véritable « marches » destinées à assurer la sécurité contre les intrigues et les incursions de la Chine. Quant à Madagascar, il n’était pas prudent de laisser tomber aux mains de rivaux une baie telle que Diégo-Suarez