CHAPITRE XXVIII
La politique a de ces ironies : M. Jules Grévy avait conquis la célébrité par son fameux amendement de 1848, qui supprimait la présidence de la République et cette célébrité le portait, par une élection triomphale, à la magistrature suprême. Il serait injuste d’affirmer que là était le seul motif de son élection. Le nouveau président avait un passé tout fait de silence, de sérénité, disons le mot, d’inactivité politique. Sans doute, il était républicain et il avait appartenu à l’opposition, sous l’Empire, mais il s’était tenu à l’écart des actions par lesquelles les hommes politiques conquièrent la grande notoriété, popularité ou impopularité, étiquettent un parti, illustrent vivement une cause. Ses familiers ont dit qu’il avait horreur de l’action ; il s’en était toujours gardé, observant froidement ce qui se passait autour de lui, parlant peu et rarement, écrivant encore moins.
Durant les événements qui se déroulèrent depuis le 4 septembre jusqu’à la réunion de l’Assemblée nationale, à Bordeaux, il n’avait pas fait parler de lui. Il n’avait pas fait partie du gouvernement de la Défense nationale, quoiqu’il fût qualifié plus que les trois quarts de ses membres pour y prendre place ; mais il ne s’était pas rendu à l’Hôtel de Ville où, les jours de révolution, se forment les gouvernements provisoires, par la voie d’acclamations populaires généralement si peu raisonnées et si étrangement interprétées que ce sont, pour la plupart, des conservateurs ennemis de la « vile multitude » qui s’attribuent le pouvoir.
Il ne s’était pas usé ; les polémiques violentes ne l’avaient pas effleuré ; sa réputation modeste n’avait pas fait de jaloux, n’éveillait pas les inquiétudes ambitieuses ; il était intact, calme, d’une apathie qui passait pour du sang-froid et il se trouva tout désigné pour présider les débats de cette assemblée passionnée, tumultueuse qu’agitaient les passions les plus désordonnées. Son élection à la présidence n’avait pas eu, du reste, un caractère politique. C’était