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Le ministère avait subi une légère modification ; elle devait avoir prochainement des conséquences ; le général Borel s’était retiré et avait été remplacé par le général Gresley ; d’autre part, M. Challemel-Lacour, l’ancien préfet du Rhône durant la Défense nationale, qui avait été l’objet des plus graves, des plus inqualifiables accusations de la part des droites, venait d’être nommé ambassadeur auprès du gouvernement helvétique ; il y avait là l’indication d’un rapprochement entre M. Dufaure et M. Gambetta ; l’action de M. Thiers n’y avait pas été étrangère.

La déclaration lue au Parlement, le 16 janvier, provoqua des impressions bien différentes, bien contradictoires ; elle était pâle à ne pas troubler un membre du centre droit et elle fut goûtée ; par contre la Chambre lui fit un accueil glacial et le président du Conseil dut s’expliquer le 20 janvier a l’occasion d’une interpellation amicale déposée par M. Sénart. Il le fit avec une netteté relative — on ne pouvait attendre autre chose de lui — qui lui valut les applaudissements de la majorité de la gauche. Ce fut en vain que MM. Madier de Montjau et Floquet tentèrent de réclamer un gouvernement plus en harmonie avec le caractère de la majorité républicaine, un ordre du jour de M. Jules Ferry, tout de confiance, consolida le ministère. Désormais, la situation du maréchal de Mac-Mahon devenait difficile, intenable, obsédé par son entourage qui lui reprochait sa faiblesse, l’accusait parfois crûment de trahir la cause de l’ordre, les intérêts sacrés de la Patrie ; retenu par la double majorité républicaine prête à le combattre ouvertement. Sa loyauté, son irrésolution en matière politique l’éloignait de toute pensée de coup d’État ; il n’attendait qu’une occasion pour se retirer, abandonner un poste qui ne lui avait réservé que des soucis, des amertumes et de successives défaites. Elle se présenta bientôt. Il refusa d’apposer sa signature sur un rapport relatif à l’application de la loi de 1873, relative aux grands commandements militaires, et sur un décret mettant en disponibilité des généraux maintenus dans leurs fonctions depuis plus de trois années.

Le 30 janvier, il adressait sa démission à la Chambre et au Sénat. Conformément aux lois constitutionnelles, le Parlement, le même jour, se réunissait en Congrès pour procéder à la désignation du nouveau président. 713 membres de l’Assemblée nationale prirent part au scrutin ; M. Jules Grévy était élu au premier tour par 569 suffrages ; les droites avaient voté pour le général Chanzy qui protesta le lendemain et qui obtint 99 voix.

La transmission du pouvoir s’effectua tranquillement, avec une grande simplicité. La grande crise traversée par la jeune République était close et ce fut une grande joie dans tout le pays. Mais la tranquillité n’allait pas être de longue durée. Gambetta avait dit juste : « L’ère des difficultés venait à peine de commencer ».