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prison de Sainte-Pélagie traditionnellement consacré aux détenus politiques, où, le dimanche, de nombreux amis venaient visiter les condamnés, se fortifier dans leurs convictions et leurs espérances. Le socialisme avait reçu le baptême du feu et rien ne devait plus entraver ses progrès parmi les masses ouvrières.

L’Exposition avait fermé ses portes, laissant le souvenir d’une féerie prodigieuse. Les dures réalités de la vie reprenaient tout le monde et elles étaient d’autant plus sensibles que, si la vie avait renchéri, le travail se ralentissait ainsi qu’il advient régulièrement après les efforts multiples, anormaux et hâtifs qu’exigent la préparation et la mise en œuvre d’aussi inutiles manifestations.

Une échéance politique, particulièrement inquiétante, se rapprochait, le renouvellement triennal du Sénat. Un grand effort devait être fait par les républicains pour conquérir la majorité dans cette Assemblée, place forte de la réaction, qui avait voté la dissolution, s’opposait à toute tentative républicaine de la Chambre et élisait comme inamovibles les pires parmi les réacteurs qu’avait chassés de leurs sièges législatifs le suffrage universel. Les élections avaient été fixées au 5 janvier 1879. La campagne électorale fut vive, tant la partie était grosse de conséquences.

L’attitude violente des droites à la Chambre, la révélation des manœuvres électorales du Cabinet du 16 mai, des projets du ministère Rochebouët, l’obstination du Sénat à défier, par ses résistances, les élus du suffrage universel ; le désir d’en terminer avec une politique qui n’avait que trop duré, au détriment de la tranquillité publique, de la réorganisation du pays, avait fortement impressionné le suffrage restreint. Aussi le scrutin du 5 janvier marqua-t-il une éclatante victoire pour le parti républicain qui, non seulement conquérait la majorité au Sénat, mais encore s’orientait un peu plus à gauche, mais si peu ! Les élections du 5 janvier avaient modifié la composition de la Chambre haute : les républicains se comptaient au nombre de 178 ; le nombre des monarchistes et bonapartistes tombait à 120 et la Gauche était assurée d’une majorité de 58 voix ; il n’y en avait eu que 19 en faveur de la dissolution. Le parti républicain devenait maître de la situation, mais il allait procéder avec prudence, avec modération, ainsi que M. Gambetta le lui avait conseillé dans ses deux retentissants discours de Romans et de Grenoble, tellement qu’il allait subir plus que la sienne l’orientation donnée par M. Jules Ferry dont l’influence grandissait de jour en jour.

A l’ouverture de la session de janvier 1879, la Chambre, à l’unanimité des votants, élut M. Grévy, président ; c’était une indication en cas de crise présidentielle. Au Sénat, ce fut M. Martel, républicain fort modéré, qui fut porté au fauteuil avec trois vice présidents de gauche, un siège avait été concédé à la droite ; il fut accordé au général de Ladmirault, celui qui comme gouverneur militaire de Paris avait fait une guerre si implacable à la presse républicaine. On eut pu faire un choix moins malencontreux ; les républicains ont la victoire indulgente…. jusqu’à la candeur.