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l’avait été à ceux de l’Empire qui avaient tenu la France sous leur joug durant près de vingt ans, puis l’avaient livrée à l’invasion étrangère. Chez nous, depuis le 24 février 1848, la République ne s’est montrée sévère, implacable, qu’envers ses plus fidèles, ses plus dévoués et ses plus énergiques défenseurs.

Le Parlement se mit à l’œuvre ; elle n’était pas aisée la tâche qui incombait aux républicains vainqueurs à qui était échu de mettre en pratique, de transformer en lois les articles de leurs programmes électoraux. Le mot de Gambetta : « l’ère des difficultés commence » était en situation. Qu’allaient surtout faire, ou seulement tenter, les représentants du suffrage universel en faveur des prolétaires qui venaient, de toute leur vigueur, les aider à vaincre la réaction menaçante ?

C’est que la question ouvrière ne se posait pas seulement au point de vue des principes ; une crise économique se produisait dont les travailleurs souffraient un peu partout, mais qui se faisait plus particulièrement sentir dans quelques régions, à Lyon surtout où les ouvriers de l’industrie de la soie étaient frappés par un cruel chômage. La très active reprise des affaires qui avait marqué la seconde moitié de l’année 1871 et les suivantes, s’était peu à peu apaisée. Dans la hâte de rattraper le temps perdu, l’industrie française avait produit sans compter et elle avait fortement engagé son avenir. Il avait fallu réalimenter le marché intérieur et s’occuper de l’exportation. Sans méthode, sans calculs assis sur des données exactes, simplement stimulés par les âpres aiguillons de la concurrence, les industriels français s’étaient acharnés à la besogne. Pour les besoins de la consommation intérieure elle-même ils avaient trop produit, d’autant plus que de même que sur les marchés étrangers ils avaient rencontré des rivaux supérieurement organisés pour la production et les échanges, ils rencontraient maintenant sur le marché français les produits de ces mêmes rivaux à des conditions de prix bien inférieures. L’Allemagne, l’Angleterre, l’Autriche-Hongrie, l’Italie nous envahissaient commercialement, immobilisant dans nos réserves la partie de la production nationale concurrencée victorieusement par elles et toute la surproduction due à l’anarchie qui dominait et domine encore notre industrie et notre commerce.

De cet état de choses résultait le chômage pour les industries réduites à restreindre leur production ; pour les autres c’étaient des opérations destinées à restreindre les effets de la concurrence, par exemple la réduction des frais généraux, entre autres des salaires, alors qu’il aurait fallu transformer l’outillage et perfectionner l’organisation commerciale encore sous le joug de la routine la plus lamentable. Parmi ce que, dans le monde officiel et dans la grande presse de toutes les nuances, on appelait le relèvement, la vitalité, la prospérité de la France, la misère commençait à se faire sentir vivement, chez les petits patrons, chez les petits commerçants, surtout parmi les ouvriers. À Lyon, elle fut particulièrement douloureuse. La situation des canuts rappelait, l’activité, l’exaspération révolutionnaires en moins, les tragiques journées de