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vous exploitez le point d’honneur contre son devoir constitutionnel, et que vous n’hésitez point, pour sauver quelques heures de cette domination dont vous n’avez pas l’ambition, dont vous avez la gloutonnerie ! »

Comme cela était à prévoir, le projet de la Commission fut adopté par 312 voix contre 205.

Au Sénat, le duc de Broglie obtint gain de cause ; il se trouvait plus à l’aise pour développer, en les soulignant, ses conceptions gouvernementales si étranges. À cette attitude, la Chambre riposta en ajournant l’examen de l’élection du baron Reille, dans le Tarn, jusqu’à ce qu’il eût été procédé à une enquête complète sur l’attitude des fonctionnaires et des agents de l’autorité dans la circonscription.

Malgré l’appui du Sénat, qui manifestait ouvertement ses préférences en élisant des réacteurs avérés comme inamovibles, la situation n’était plus tenable pour le ministère et le 21 il se retirait. Qu’allait-il sortir de cette nouvelle crise ? Le maréchal céderait-il aux vœux du pays ? Appliquerait-il, simplement et « loyalement », ainsi qu’il l’avait maintes fois déclaré, la Constitution ? Provoquerait-il, de sang-froid et de parti-pris, la majorité de la Chambre renvoyée par le suffrage universel, malgré une pression inouïe ? Il y avait une grande inquiétude ; aussi ce fut avec une profonde stupeur que fut accueillie la nouvelle de la constitution du ministère ayant à sa tête un soldat, le général de Rochebouët ! Son entourage importait peu, à l’exception de M. Welche, à qui était échu le portefeuille de l’Intérieur et qui avait la réputation d’un « homme à poigne », les autres n’étaient que de vagues comparses. L’accueil que lui fit la Chambre fut significatif. M. de Marcère qui, depuis, a manifesté un goût très vif pour la politique de violence et de Coup d’État, de répulsion pour le parlementarisme, le Parlement n’ayant plus voulu de lui, protesta énergiquement contre le gouvernement qui surgissait comme une menace. M. Welche tenta de lui répondre ; il fut d’une éloquence incertaine, d’une argumentation fort anémique. M. Floquet résuma le sentiment général des républicains dans un discours qui se terminait par cette virulente apostrophe : « Nous vous déclarons que vous n’aurez ni notre confiance provisoire, ni notre concours à un moment quelconque. — Non ! nous vous refusons cette confiance, nous vous refusons ce concours ! Vous ne pourrez, ni nous tromper, ni égarer le pays ! »

La conclusion du débat fut le vote d’un ordre du jour par lequel la Chambre déclarait « qu’elle ne pouvait entrer en rapports avec le ministère ».

Ce cabinet renversé, tout danger n’était pas conjuré, car à ce moment, les bruits de préparation d’un coup d’État militaire prenaient une telle consistance que le parti républicain avait dû s’en préoccuper et prendre des mesures de précaution très sérieuses. Quels éléments triompheraient parmi ceux qui harcelaient le maréchal de Mac Mahon de leurs conseils, de leurs supplications, de leurs objurgations ? L’infortuné soldat ne savait auquel se vouer, car on le menaçait de toutes parts des pires catastrophes. C’était la révolution radicale