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L’activité des propagandistes fut à peine ralentie par les événements du 16 mai et ceux qui allaient suivre, jusqu’à la démission du maréchal de Mac-Mahon. Les plus intransigeants, tout en faisant ardente campagne pour la République contre la coalition réactionnaire déchaînée, ne cessaient de faire la critique de l’organisation sociale et d’inciter les travailleurs à se placer sur le terrain de la lutte des classes pour la conquête de leur émancipation.

Par eux tous la victoire républicaine fut accueillie avec enthousiasme. Plus la République serait solidement établie plus la propagande leur serait aisée. Leur attitude ne pouvait être autre, quand Bakounine lui-même, l’apôtre indomptable, passionné de l’anarchie, l’anti-étatiste par excellence, déclarait, au lendemain des élections d’octobre, que la démocratie française venait une fois de plus de sauver la France et de donner un salutaire exemple aux peuples de l’Europe ?

Malgré le vent de résistance qui soufflait dans les groupes et cercles réactionnaires, jusque dans l’entourage du maréchal-président, certains hommes politiques que n’aveuglaient ni la passion ni la haine, qui voyaient clair dans la situation et se rendaient compte du mouvement irrésistible qui emportait le pays, conseillaient la prudence ; à trop vouloir se heurter contre l’obstacle nouveau qui venait de se dresser, on risquerait de se briser. Mieux valait céder, au moins dans les apparences ; rien n’empêcherait de gouverner pour le parti de la conservation en choisissant un Cabinet modéré quant au républicanisme, décidé à n’entreprendre aucune des réformes réclamées par le « radicalisme ». Des organes modérés, tels que le Moniteur Universel et le Soleil prêchaient la « soumission ». Ils ne furent pas écoutés. L’orientation était à la résistance et cette résistance on l’organisa. Le Cabinet de Broglie, qui avait donné sa démission, la reprit sur l’invitation du maréchal et il se présenta devant la Chambre des députés qui avait réélu son ancien bureau, afin de bien affirmer, par une significative manifestation que la nouvelle majorité n’était autre que l’ancienne et que le même esprit l’animait.

Son premier acte fut de décider qu’une Commission de 33 membres, élue dans les bureaux, serait chargée de procéder à une enquête sur les actes qui, depuis le 16 mai, « avaient eu pour objet d’exercer une pression illégale sur les élections »… de constater tous les faits de nature à engager, n’importe à quel titre, la responsabilité de leurs auteurs, quels qu’ils pussent être » et « de proposer à la Chambre les résolutions que ces faits lui paraîtraient comporter ».

Durant les trois séances des 13, 14 et 15 novembre, cette proposition fut l’objet de débats d’une violence rare ; la droite entière se sentait touchée par l’attaque directe menaçante dirigée contre le ministère qui l’avait si violemment servie. MM. de Fourtou et de Broglie firent hautement l’apologie de leurs actes ; M. Gambetta intervint, faisant ressortir les actes arbitraires, illégaux, commis, l’usage abusif qui avait été fait du nom du maréchal : « La vérité, s’écria-t-il, c’est que vous n’hésitez pas à perdre celui-là même dont