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partout la résistance et l’action s’organisèrent avec enthousiasme et sang-froid méthodique. La France républicaine avait recouvré sa vitalité, elle ne cessa de le prouver durant les trois longs mois que dura la dictature effrontée. Rien ne l’ébranla et les masses paysannes, d’ordinaires si timides, formant les gros bataillons de l’armée démocratique, affrontèrent sans fléchir une seule minute et le fonctionnaire, et le hobereau, et le gendarme, et le prêtre, ce dernier déployant un zèle invraisemblable.

La précaution prudente, prévoyante, prise par la Chambre de ne pas voter le budget des recettes, donnait un argument précieux, saisissant. C’était le suffrage universel qui tenait les clés de la caisse. Sans l’autorisation en bonne et due forme constitutionnelle de ses représentants directs, c’était un acte de forfaiture, passible des peines les plus graves, de réclamer, de percevoir les impôts ! Pour la première fois, Jacques Bonhomme avait le droit de faire la nique au percepteur !

Le maréchal, lui-même, était entré ouvertement en campagne, s’était découvert ; mais le vainqueur de Magenta voyait son prestige ancien s’évanouir ; c’était du vague, incapable soldat de Sedan qu’on parlait maintenant ; la légende se dédorait, le prestige avait fui ; du « vaillant soldat d’Afrique et de Crimée » il ne restait plus que le magistrat menaçant de l’épée la République : c’était trop et pas assez.

La réponse du pays au coup d’État fut éclatante, significative ; le 14 octobre les élections eurent lieu : la gauche, il est vrai, perdait 36 sièges, par suite de la pression électorale et de la candidature officielle, mais elle était la majorité, une majorité imposante. Quand elle eut procédé aux invalidations nécessaires, le parti républicain non seulement regagna le terrain perdu mais en conquit de nouveau. Tout compte fait, il allait compter 389 sièges, 26 de plus qu’il n’en comptait dans la Chambre dissoute.

Le suffrage universel venait de manifester un inébranlable attachement à la République ; il avait écrasé la réaction, mais celle-ci bientôt revenue de l’effarement que lui causait sa défaite allait tenter une revanche et menacer la France d’une crise grave, grosse de complications intérieures et extérieures.