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sable comme vous envers le Parlement, j’ai une responsabilité envers la France dont aujourd’hui, plus que jamais, je dois me préoccuper ».

Il ne restait plus à M. Jules Simon qu’à s’incliner, à remettre sa démission, ce qu’il fit.

L’émotion provoquée par la lettre du maréchal fut considérable et rendit toute la France anxieuse. C’était un retour soudain, offensif, audacieux de l’ordre moral que l’on croyait à jamais enterré avec l’Assemblée Nationale. Malgré la menace qui planait, elle était grosse de périls pour la France et la République, il faut reconnaître qu’il n’y eut pas une minute de découragement. Toutes les divisions du parti républicain s’apaisèrent comme par enchantement, et sur tous les points du territoire la résistance s’organisa. L’union se manifesta le 16 mai au soir, dans la réunion des gauches, au Grand-Hôtel, à laquelle plus de trois cents députés assistèrent et où fut adopté un ordre du jour affirmant trois idées principales :

« Rétablir une fois de plus les principes du gouvernement parlementaire sur la base de la responsabilité ministérielle scrupuleusement respectée ;

« Rappeler que la politique républicaine est la garantie de l’ordre et de la prospérité intérieure ;

« Résister à toute politique de hasard qui, sous l’influence de certaines agitations coupables ; entretenues par je ne sais quel prétendant, pouvait lancer la France, ce pays de la paix, de l’ordre et de l’épargne, dans des aventures dynastiques et guerrières. »

Le lendemain, devant M. Christophle, seul membre présent du Cabinet démissionnaire, M. Gambetta développa une interpellation déposée par M. Devoucoux et, par 347 voix contre 149, un ordre du jour fut adopté qui disait « que la confiance de la majorité ne saurait être acquise qu’à un Cabinet libre de son action et résolu à gouverner suivant les principes républicains, qui peuvent seuls garantir l’ordre et la prospérité au dedans et la paix au dehors. »

A cet ordre du jour émané de la majorité des représentants directs du pays, élus par le suffrage universel, le Maréchal répondit par la Constitution d’un Cabinet qui était un défi à l’opinion. Le duc de Broglie, l’homme de toutes les intrigues louches, en était le président ; le bonapartiste de Fourtou tenait le portefeuille de l’Intérieur ; le reste, des comparses de peu de notoriété prêts à tout.

Le 18 mai, lecture fut donnée aux deux assemblées d’un message présidentiel qui résumait, motivait la politique du maréchal, son attitude la défense du pays et de l’ordre contre le radicalisme menaçant. Le ton en était net, comminatoire ; il indiquait une résolution ferme. Après cette lecture terminée et afin d’éviter tout débat, communication fut faite d’un décret prorogeant le Parlement pour un mois. C’était du style Louis XIV le plus audacieux ; après la lettre de congé si impertinente, si peu mesurée adressée à M. Jules Simon,