Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/212

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lut, puis s’expliqua d’abord sur un ton modéré. Soudain il se redressa, sa voix prit des accents indignés qu’on ne lui connaissait pas. Déchirant le journal, le jetant violemment à terre et le foulant aux pieds, il évoqua son passé et invoqua sa dignité, son honneur de vieux républicain, faisant toutefois parade d’un respect profond pour le caractère du maréchal-président, de sa respectueuse admiration pour sa conduite politique !

L’effet de ces déclarations, surtout de ce geste indigné fut considérable ; les gauches applaudirent presque unanimement. À cette discussion d’un caractère et d’une importance décisifs il fallait une sanction. Un ordre du jour fut déposé par MM. Leblond, Laussedat et de Marcère. Il n’y avait pas le mot confiance ; il se bornait à demander au gouvernement, en termes très nets, d’user des moyens légaux dont il disposait pour calmer les manifestations ultramontaines, agitation antipatriotique qui ne pouvait que compromettre la sécurité inférieure et extérieure de l’État.

Le président du Conseil se trouvait dans le plus profond embarras ; il demanda que le mot « confiance » fut introduit dans le texte, le refus formel lui fut opposé par M. Gambetta et il dût se résigner à accepter l’ordre du jour qui fut adopté par 346 voix contre 114.

Dès lors la perte du cabinet était résolue. L’occasion propice ne devait pas tarder à se présenter. Le 15 mai venait en discussion la loi sur la presse. L’avis de la Commission était d’abroger la loi de 1875 due à M. Dufaure. Le maréchal avait demandé au président du Conseil de combattre l’avis de la Commission et de défendre énergiquement la loi visée. M. Jules Simon s’y était engagé mais il se montra hésitant et en fin de compte, malgré les efforts de M. Gambetta que préoccupait une crise prochaine, l’abrogation de la loi fut votée par une forte majorité : 377 voix contre 55. Cet échec irrita fort le président qui, le 16 mai, adressait au président du Conseil une lettre qui n’était autre qu’une demande de démission, un congé très catégorique. Voici le passage le plus saillant de ce document, premier acte d’un coup d’état qui devait si misérablement avorter :

« J’ai vu avec surprise que ni vous ni le Garde des Sceaux, n’aviez fait valoir à la tribune toutes les graves raisons qui auraient pu prévenir l’abrogation d’une loi sur la presse votée, il y a moins de deux ans, sur la proposition de M. Dufaure et dont tout récemment vous demandiez vous même l’application aux tribunaux, et cependant dans plusieurs délibérations du Conseil et dans celle d’hier matin même, il avait été décidé que le président du Conseil et le Garde des Sceaux se chargeraient de la combattre.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Cette attitude du chef du Cabinet fait demander s’il a conservé sur la Chambre l’influence nécessaire pour faire prévaloir ses vues.

« Une explication à cet égard est indispensable, car si je ne suis pas respon-