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Le coup est direct et pour gêner le président du Conseil pris entre son passé de républicain, de philosophe et une situation politique à défendre. Il ne serait pas gêné, s’il n’y avait que la Droite et il ne manquerait pas de faire toutes les concessions ; elles lui coûteraient fort peu, du reste ; mais il y a les Gauches ; unies, elles paraissent résolues ; si elles sont minorité au Sénat, elles sont majorité notable à la Chambre ; derrière elles, plus ardentes qu’elles, marchent les masses citadines et les masses rurales de la grande majorité du pays. La politique a un présent ; elle a aussi un avenir. Comment s’orienter pour ne compromettre ni le présent ni l’avenir ? Il demande que la question soit jointe à l’interpellation des Gauches que va développer M. Leblond qui est armé d’un formidable dossier. M. Jules Simon prononce un discours durant lequel il essaie de satisfaire tout le monde. Aux Droites il parle de son grand respect pour la religion et ses ministres ; aux Gauches il parle du respect de la loi égale pour tous ; il ne peut que blâmer les exagérations de langage qui caractérisent trop souvent les polémiques entre catholiques et républicains. Toute la Chambre était perplexe et ne savait quelles conclusions tirer d’un tel ensemble d’artifices oratoires. Mais la question se posa nettement le lendemain quand M. Gambetta, à qui M. Jules Ferry avait cédé son tour de parole, dénonça l’attitude du clergé uni au « haut personnel de la politique réactionnaire » pour livrer assaut à l’État, pour y faire « brèche au nom de la religion ». Et sa conclusion fut foudroyante : « Oh ! ce n’est pas l’intérêt de l’État qui vous agite, c’est le besoin d’influer sur les élections. Les élections ! vous voyez, donc, vous avouez donc qu’il y a une chose qui, à l’égal de l’ancien régime, répugne à ce pays, répugne aux paysans de France, c’est la domination du cléricalisme… vous avez raison et c’est pour cela que du haut de cette tribune je le dis, pour que cela devienne précisément votre condamnation devant le suffrage universel et je ne fais que traduire les sentiments du peuple de France en disant du cléricalisme ce qu’en disait un jour mon ami Peyrat : Le cléricalisme, voilà l’ennemi !

L’effet de ce discours, de cette véhémente péroraison, fut tel que la séance se trouva suspendue. Il n’était plus possible de faire entrer en ligne des expédients, des faux-fuyants, des artifices oratoires. Il fallait des explications précises, une attitude nette ; le président du Conseil était mis en demeure d’opter entre les républicains ou les réactionnaires. C’était peu dans son tempérament, mais il était impossible d’éloigner la coupe d’amertume, d’autant plus que, dès la rentrée en séance, M. Bernard Lavergne, un modéré s’il en fut, intervint à son tour pour demander des explications sur un article d’un journal royaliste et surtout ultramontain. La Défense, qui faisait plus qu’insinuer, qui affirmait que le Président du Conseil avait été mis en demeure de rompre avec les gauches sous peine de se voir contraint de quitter le pouvoir. M. Jules Simon, il l’affirmait, du moins, n’avait pas eu connaissance de cet article ; M. Bernard Lavergne n’en avait pas donné lecture à la Chambre ; il le