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leurs espérances. Les autres, plus prudents, plus avisés ou plus timides, masquaient leurs manœuvres, s’attachant par leur attitude à rallier cette masse flottante de l’opinion qui ne sait se conduire elle-même et qu’émeut la moindre agitation. Ceux-ci mettaient en lumière deux directrices principales habilement choisies : l’ordre à l’intérieur avec une suffisante liberté ; le relèvement militaire destiné à reconquérir à la France sa situation en Europe. Du monde du travail, le plus nombreux, toujours vivant dans les pires conditions, il n’était question que pour lui enlever toute espérance et le troubler soit par la menace, soit par les plus perfides insinuations.

A de rares exceptions près, jusque dans les colonnes de la majorité des journaux à étiquette républicaine, pour la mise à exécution de la dernière partie de leur plan, les différents groupes de la conservation sociale rencontraient de précieuses collaborations.

Sans doute, dès les premières heures, pouvait-on avoir quelque espoir dans les rangs du parti républicain, puisque à tout moment, en de nombreuses circonstances, un réveil se manifestait, une entente se scellait entre les diverses fractions, malgré d’inévitables et accusées divergences, malgré des heurts parfois violents, tandis que l’incohérence, des rancunes, des haines, des chocs d’ambitions effrénées paralysaient et vouaient à l’avortement les conspirations successivement ourdies contre la République, dont les premières eussent sans doute abouti à une restauration monarchique, si la Commune socialiste et républicaine n’eût surgi.

Ce réveil républicain ne devait pas tarder à se traduire par des actes et, dès lors, malgré les tentatives les plus subtiles ou les plus audacieuses rien ne devait l’arrêter. En même temps, dans les grandes villes et dans certains centres industriels où, plus particulièrement et plus directement, se font sentir l’oppression et la cupidité patronales, devait s’opérer le réveil progressif de la conscience prolétarienne prête à recevoir la semence socialiste. Le parti de la conservation sociale avait démêlé la véritable signification du mouvement du 18 mars et tous ses efforts après la victoire allaient tendre à le dénaturer, pour faire du socialisme un objet de réprobation et d’épouvante. Après l’avoir qualifié de crime de lèse-patrie, parce qu’il s’était produit l’ennemi occupant encore le sol, alors qu’une des causes de l’explosion avait été l’indignation contre l’inertie des gouvernants et l’incapacité des grands chefs militaires ; après l’avoir qualifié de mouvement anti-républicain, parce que, affirmait-on, il pouvait compromettre la République encore incertaine, on lui donnait un caractère socialiste, mais en le dénaturant, en forgeant de sinistres légendes bien faites pour terroriser la bourgeoisie française facile à impressionner et pour ébranler les sympathies instinctives des masses populaires encore mal informées. Aussi bien fallait-il justifier l’hécatombe effroyable de Mai et préparer l’opinion aux jugements des Conseils de guerre, aux déportations lointaines et aux prochaines exécutions. C’était faire d’une pierre deux coups :