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s’était réuni et qu’il allait aborder les problèmes qui se posèrent ; ils étaient nombreux, complexes, pressants ; leur étude allait s’entreprendre parmi les résistances de la réaction qui ne voulait pas s’avouer vaincue et allait tenter de suprêmes efforts pour une éclatante et prochaine revanche.

Les bureaux des deux Chambres avaient été définitivement constitués. M. d’Audiffret-Pasquier était président du Sénat, M. Jules Grévy, de la Chambre.

Le 14 mars, le cabinet se présentait devant le parlement. Il était composé de MM. Dufaure, président du Conseil, ministre de la Justice et des Cultes ; Ricard, de l’Intérieur, qui avait échoué aux élections mais que, le lendemain, le Sénat allait élire comme inamovible en remplacement d’un sénateur décédé ; le duc Decazes, des Affaires étrangères ; Waddington, de l’Instruction publique ; Léon Say, des Finances ; Christophle, des Travaux publics ; Teisserenc de Bort, du Commerce ; de Cissey, de la Guerre ; l’amiral Lourichon, de la Marine. M. de Marcère était au sous-secrétariat de l’Intérieur, M. Louis Passy à celui des Finances.

La déclaration du nouveau ministère lui écoutée avec grande attention ; elle était pour ainsi dire incolore, réduite à l’énumération du travail à parachever ou à entreprendre ; elle affirmait le respect de la Constitution votée, sa mise en application loyale, mais elle affirmait aussi la volonté du maréchal de Mac-Mahon de faire respecter les pouvoirs qui lui avaient été personnellement conférés par l’Assemblée nationale ; de défendre l’ordre, la propriété, la famille, la religion. Ce fut une déception profonde pour les républicains des deux Chambres. D’autant plus profonde, cette déception, que le parti républicain était loin d’avoir conservé cette forte unité qui l’avait conduit à la victoire constitutionnelle. Nous avons eu l’occasion de le constater durant la campagne électorale, des divergences très nettes s’étaient accusées dans le parti dont la direction semblait échapper à M. Gambetta ; le Centre-gauche reprenait ses hésitations, ses timidités ; l’Extrême-gauche, quoique minorité, représentait une force d’appoint relativement considérable ; la Gauche proprement dite allait peu à peu se disloquer, une fraction restant fidèle à Gambetta, l’autre devant subir l’influence de M. Jules Ferry. Enfin, M. Thiers lui-même, malgré un effacement volontaire, allait exercer une action oblique très appréciable. Les Droites étaient aussi fort divisées, non toutefois autant que dans l’Assemblée nationale, car le parti légitimiste était pour ainsi dire réduit à presque rien. Au Sénat, seulement, il formait un petit groupe, grâce à l’appui qui lui avait été donné par les républicains, lors de l’élection des inamovibles.

En fait, malgré la victoire remportée par les républicains aux élections législatives, malgré la couleur républicaine — bien pâle — de quelques membres du cabinet, la réaction est maîtresse de la situation. Ses agents peuplent les postes administratifs ; la magistrature debout est à sa dévotion ; la magistrature assise, en vertu de son inamovibilité, reste composée de fidèles du