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Elle n’avait pas été, du reste, préparée à supporter de tels chocs. Elle en resta effarée. La jeunesse bourgeoise, élevée dans les lycées impériaux et les établissements religieux, avait reçu de l’instruction, mais son éducation avait été orientée vers l’obéissance, vers le respect, soit du pouvoir établi soit des traditions royalistes ; tous avaient reçu une éducation religieuse. Une très faible fraction avait fréquenté les quelques établissements libres où se donnait pour ainsi dire en cachette, une instruction libérale, parfois même républicaine. Cependant dans cette bourgeoisie, assez nombreuse, étaient des jeunes gens qu’avait séduits le mouvement d’opposition à l’Empire et qui s’y étaient laissé entraîner ; mais la République fondée, ils avaient compris la place qu’ils pouvaient s’y faire et s’étaient tôt rangés dans le parti républicain, résolus à assurer son triomphe, mais aussi résolus à défendre les privilèges de leur classe contre les entreprises du socialisme. Peu nombreux furent ceux qui prirent place parmi les défenseurs des intérêts du prolétariat.

Quant à la jeunesse ouvrière, l’enseignement primaire lui avait été parcimonieusement mesuré ; allait à l’école qui voulait et qui pouvait ; l’immense majorité, forcée par les nécessités, trop fréquemment aussi par l’ignorance des parents, était au travail dès l’âge le plus tendre, vouée aux conditions les plus défavorables tant au point de vue physique qu’au point de vue moral. Les programmes étaient pour ainsi dire nuls, le personnel enseignant, transformé en personnel politique, notoirement insuffisant ; l’élément congréganiste, aux influences funestes, y jouait un rôle prépondérant. Que pouvait être cette jeunesse, sinon indifférente ? Néanmoins, dans les grandes villes elle subissait le contact des parents ou des amis républicains, socialistes, mais il n’y avait là qu’une minorité. Or, voici qu’avec toutes les ardeurs qui la caractérisent, l’ensemble de la jeunesse allait se trouver tiraillée entre les partis qui tentaient de la conquérir et de la grouper, parce qu’ils comprenaient bien le rôle qu’elle pourrait jouer. Ce fut de ces tiraillements si divergent qu’une idée se dégagea, commune à tous, l’idée d’une revanche de la France vaincue. Pour cette revanche il fallait une jeunesse robuste, exercée, bien avant le service militaire ; éduquée patriotiquement, ainsi qu’avait procédé la Prusse durant plus d’un demi-siècle. Et partout l’on vit se former sociétés de gymnastique, sociétés militaires, bien avant qu’on ne songeât à organiser l’instruction gratuite et obligatoire !

Sans doute était-il indispensable d’organiser la France en vue de sa sécurité future, de son indépendance vis-à-vis de ceux qui pouvaient la menace s’inquiétant de son prompt relèvement et de son développement républicain mais tenir la jeunesse de tout un pays hypnotisée sur une seule idée, aller à l’encontre du but qu’on se proposait en apparence ; c’était risquer l’énerver dans l’attente d’une échéance incertaine, la lasser, puis la conduire à l’indifférence, ce qui est survenu et inspire tant de légitimes inquiétudes.

C’est dans ces conditions générales, troublantes, que le nouveau Parlement