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qui avaient échappé au massacre, durant la semaine sanglante, aux arrestations, aux conseils de guerre, de retentissantes querelles s’étaient élevées parmi les proscrits dont les deux principaux éléments, ceux qui tenaient pour la « majorité » de l’Assemblée communaliste et ceux qui tenaient pour la « minorité », se renvoyaient réciproquement, en des polémiques violentes, les responsabilités de la défaite. L’écho de ces querelles arrivait en France et n’était pas pour encourager les hésitants. Ces querelles étaient, faut-il le dire, habilement exploitées par les organes conservateurs de toutes les nuances.

C’est autour de la question d’amnistie que se forma, en réalité, le groupement d’où devait presque aussitôt sortir le mouvement socialiste actif et renouvelé. Si, à l’étudier de près, la façon dont avait été conduite la Révolution du 18 mars prêtait à des critiques variées, d’autant plus variées et contradictoires qu’elles étaient exercées sans une documentation suffisante et avec passion, alors qu’on pensait aux prisonniers, aux déportés, aux forçats, aux proscrits, l’union se faisait pour réclamer la mesure législative qui devait leur assurer la liberté et leur prompt retour en France. C’était un mouvement très intense qui s’était marqué, développé dans le monde travailleur particulièrement frappé. Partout s’organisaient des réunions, se votaient des ordres du jour et, à ce moment, nul ne songeait à élever des récriminations et c’était avec douleur, avec indignation, que l’on avait vu des propositions d’amnistie repoussées par l’Assemblée nationale, même par les républicains dont nombreux étaient ceux qui reconnaissaient que la Commune, même vaincue, avait empêché une restauration monarchiste.

C’est en dehors des syndicats que se groupèrent donc les cléments ouvriers qui avaient compris la nécessité de reprendre la tradition socialiste violemment interrompue. Des groupes d’études sociales commencèrent à se former en dehors des partis politiques ; peu nombreux furent-ils d’abord et contre quelles difficultés eurent-ils à lutter ! fréquemment, au sortir de leurs réunions, rencontraient-ils dans les rues les patrouilles organisées par l’état de siège !

Quelle attitude allait tenir, sous la jeune République, la jeunesse française ? Telle était la grave question qui se posait pour le présent, pour l’avenir. Elle venait d’être témoin des plus graves, des plus tragiques événements qui puissent frapper la vie d’une nation : guerre effroyable, défaites foudroyantes, Révolution pacifique du 4 Septembre, faite d’indignation et de mépris ; lutte contre l’invasion marquée par des actes d’héroïsme prodigieux et de lamentables faiblesses ; révolution politique et socialiste réprimée avec cruauté, manœuvres en vue d’une restauration, démembrement de la frontière Est, incertitudes douloureuses, énervantes durant cinq années sur le gouvernement réel de la France : une véritable anarchie morale parmi laquelle ne se rencontrait qu’un élément actif, à orientation nette, l’élément clérical recevant son mot d’ordre, son impulsion de l’étranger, de Rome. Il y avait de quoi troubler la jeunesse et elle le fut profondément.