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ment étroit, que les journaux de toutes les nuances s’empressèrent de les complimenter de leur tenue, de leur sagesse et de leur modération. Certains, même, trouvèrent les séances du Congrès effacées, « ternes ! »

Cette attitude provoqua une vive émotion parmi les socialistes militants qui avaient été soigneusement tenus à l’écart du Congrès, parmi les proscrits qui y répondirent par une brochure : Les Syndicaux et leurs Congrès, d’un ton fort vif qui ne fut pas, du reste, sans encourager quelques délégués, sans en blesser d’autres profondément. Voici un passage de cette brochure, il est caractéristique : « Le Congrès ouvrier vient de terminer ses séances comme il les avait commencées, au milieu des bravos bourgeois. Journaux de droite et journaux de gauche rivalisent d’éloges. La presse réactionnaire de l’Étranger fait chorus ; elle s’écrie qu’en France : « l’ère des révolutions est close ».

« Dans la ville de la Révolution, cinq ans après la lutte de la Commune, sur la tombe des massacres, devant le bagne de Nouméa, devant les prisons pleines, il semble monstrueux que des hommes aient pu se trouver, osant prendre le caractère de représentants du prolétariat, pour venir en son nom faire amende honorable à la bourgeoisie, abjurer la Révolution, renier la Commune.

« A l’ombre protectrice des conseils de guerre bonapartistes, les syndicaux sont venus insulter à ce Paris révolutionnaire, qu’ils tentent vainement de déshonorer, ils ont fait hommage aux lois qu’ils savent respecter, alors même qu’elles ne sont pas conformes à la justice. Nous ne sommes pas les révolutionnaires, ont-ils dit, nous sommes les pacificateurs. …

« Pour nous, communeux, nous n’avons qu’à nous féliciter de ce que ces hommes aient ainsi produit au grand jour leurs idées réactionnaires. Par là même, ils ont cessé d’être un danger. Ce n’est pas au prolétariat révolutionnaire qui a déclaré une guerre sans merci à la bourgeoisie, qu’il faut parler d’entreprises de détail, de coopération et autres farces réactionnaires. Il n’y voit qu’un procédé hypocrite d’escamotage de la Révolution.

Malgré les correspondances entretenues avec leurs amis de Paris ou de province, les proscrits ne pouvaient se rendre un compte, même approximatif, de la situation exacte faite aux travailleurs, et par la défaite de la Commune et par les circonstances et par la situation politique encore si incertaine. Ils ne pouvaient pas connaître les difficultés que rencontraient, même dans l’étude de questions purement professionnelles, les travailleurs qui se groupaient dans les syndicats ; la police les surveillait de près et, parfois même, ainsi que cela fut prouvé plus tard, glissait parmi eux des agents provocateurs ; du reste, il faut le répéter, les syndicats étaient à la merci du pouvoir qui, en vertu de la loi, pouvait les dissoudre. Ils ignoraient enfin que des tentatives étaient faites, avec la prudence que comportait le moment, par des socialistes, pour entraîner peu à peu les masses ouvrières. Leur jugement était exagéré ; il ne pouvait que l’être.

Enfin, il n’est pas inutile de rappeler que, depuis l’exode des combattants