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politique n’avait pas, comme tous les autres partis de droite, perdu du terrain lors des élections législatives ; elle en avait gagné au contraire, et dans des proportions frappantes, alors que se pouvait mesurer, avec plus de calme, de sang-froid, toute l’étendue, la profondeur des maux que le régime impérial avait causés.

La nation avait été frappée d’étonnement et d’effroi à la vue de cette majorité de royalistes, de la recrudescence du mouvement clérical évoquant les pires souvenirs, des souvenirs imprécis, plutôt des impressions lointaines, mais très vivaces ; c’était la vieille France « blanche » qui se dressait de nouveau devant la France « bleue », celle de la Révolution, la menaçant d’une revanche et cela avait suffi. Ce sont les hobereaux inconnus, agités, sortis de leurs manoirs provinciaux, réclamant leur roi : ce sont les évêques et les curés réorganisant leurs missions, leurs pardons, leurs pèlerinages, leurs processions expiatoires, qui ont mis en branle contre la réaction et pour la République des masses que le spectacle du pays envahi n’avait pu aussi profondément émouvoir qu’il eût été nécessaire. Du reste, dans l’évolution politique, durant les années qui vont suivre et qui seront marquées par les deux violentes crises du « Boulangisme » et du « Nationalisme », la défense de la République sera particulièrement assurée par les masses rurales, tandis que les grandes villes et les centres industriels, plus « avancés », se laisseront duper, entraîner par ces mouvements d’un caractère césarien très marqué.

Si, dans le domaine politique, les progrès de l’idée républicaine s’accusent surtout par la fidélité du pays agricole, il n’en va pas de même des progrès de l’idée socialiste. C’est que la répercussion des phénomènes économiques est moins vive sur le paysan et le petit propriétaire que sur le travailleur des villes et des centres industriels ; puis les premiers y sont moins sensibles en raison de leurs conditions d’existence.

Pour si pénible qu’il paraisse et qu’il est en réalité, durant certaines époques de l’année, le travail des champs ne saurait être comparé au travail industriel et commercial. À l’exception de certains qui se pratiquent avec hâte, les « coups de feu » sont plutôt rares à la campagne ; les travaux agricoles sont lents et l’effort vif, brutal n’y est pas coutumier, pas même nécessaire. La vie au grand air réparateur tolère une alimentation simple, relativement peu coûteuse. L’homme des champs vit dans l’isolement ; il est peu communicatif, ne se livre pas et ne se laisse pas entrainer ; de sa vie monotone, solitaire, d’un passé tout de sujétion et de labeur, son cerveau a gardé la profonde empreinte. Son ambition c’est d’avoir sa demeure à lui, un lopin de terre à lui, sur lequel il puisse travailler pour lui et sa famille. Son rêve ne va pas plus loin. Sa sensibilité n’entre en jeu que quand il est touche directement dans ses affections de famille et dans ses intérêts. Dans la politique il voit surtout l’impôt ; pour lui le gouvernement c’est le percepteur. Il ne manifeste pas ses sentiments intimes, par indifférence ou par crainte ; il a la haine