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n’était-il pas assuré de l’appui du Sénat ? Il ne fallait rien brusquer, pas commettre d’imprudences dont les suites pouvaient être très dangereuses, et ce fut son opinion qui prévalut.

Quoiqu’il fût conservateur dans l’âme, monarchiste par-dessus tout, anti-républicain par traditions de famille, par éducation et par tempérament, le maréchal de Mac-Mahon tenait à observer la parole jurée, les promesses faites. Le jeudi, 24 février, M. Dufaure était chargé de constituer un nouveau ministère et prenait provisoirement le portefeuille de l’intérieur.

C’est le 8 mars 1876 que le Sénat et la Chambre se réunirent avant de procéder à la transmission des pouvoirs. Le président du Sénat était son doyen d’âge, M. Gauthier de Rumilly ; le président de la Chambre, Raspail, qui, ironie du hasard, sur six secrétaires en avait quatre appartenant à la Droite ! Comme il passait entre les deux rangs de gendarmes qui faisaient la haie et lui présentaient les armes, le vieux démocrate, qui avait passé une partie de son existence dans les prisons de la Monarchie et de l’Empire, dit en souriant à un des secrétaires : « C’est la première fois que je vois des gendarmes si près de moi et qu’ils ne viennent pas pour m’arrêter ! »

Les bureaux constitués, la séance est suspendue et ils se rendent dans la Salle d’Hercule où, sous la présidence du duc d’Audiffret-Pasquier, président de l’Assemblée nationale, entouré de son bureau, est réunie la Commission de permanence. Le duc d’Audiffret-Pasquier prononce un discours dans lequel il déclare que le nouveau Parlement a une belle œuvre à accomplir, une œuvre de conciliation et d’apaisement. Groupé autour du maréchal de Mac-Mahon, il saura donner au pays un gouvernement d’ordre et de paix.

M. Gauthier de Rumilly lui répond en affirmant que c’est par l’union intime des pouvoirs publics que la France jouira de l’ordre, de la paix et de la liberté, sous l’égide de la Constitution républicaine qui a reçu la sanction du pays.

M. Dufaure, vice-président du Conseil des ministres, fait une déclaration : « Nous sommes délégués par M. le Président de la République pour recevoir de vos mains le pouvoir exécutif et ses prérogatives, tel qu’il lui est attribué par la Constitution républicaine du 28 février. Nous avons mission de vous déclarer qu’il a l’intime confiance, qu’avec l’aide de Dieu et le concours des deux Chambres, il ne l’exercera jamais que conformément aux lois, pour l’honneur et pour l’intérêt de notre grand et bien-aimé pays ».

Après les bruits de coup d’État qui avaient circulé avec une inquiétante persistance, cette déclaration provoqua une heureuse détente.

Les pouvoirs de l’Assemblée nationale étaient expirés. Chaque Chambre se réunit à part : le Sénat entend une allocution républicaine de son doyen d’âge et s’ajourne au lendemain. À la Chambre, Raspail prononce un discours dans lequel il parle de la République, de ses devoirs envers la France, envers le peuple, envers l’humanité, en termes éloquents ; il fait un appel suprême à la démocratie pour « féconder la science, l’industrie, la moralisation et la liberté,