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Gauche et il se prononçait pour l’amnistie pleine et entière de tous ceux qui avaient été frappés par les tribunaux civils et militaires, à l’occasion des mouvements insurrectionnels de Paris et de Province, depuis le 4 septembre. Sa candidature, opposée à celle du colonel Denfert-Rochereau, était une escarmouche intéressante, en ce sens qu’indéfinie au point de vue socialiste, car Émile Acollas était un individualiste par-dessus tout, elle fut menée avec une grande activité. Du Comité qui la présenta et la soutint, la majorité, environ un an après, devait se rallier aux idées collectivistes et former le noyau d’un groupe de propagandistes qui fortement collaborèrent, avec Jules Guesde, à la reconstitution du Parti socialiste et à la fondation du Parti ouvrier. C’était aussi ce même groupe qui devait poser la première candidature de Blanqui à Paris, dans le même arrondissement, et préluder à la campagne électorale qui arracherait enfin aux geôles bourgeoises, un des plus grands, des plus héroïques martyrs de la cause socialiste-révolutionnaire.

En somme, l’opinion publique venait de faire un sérieux pas en avant et le résultat des élections législatives dépassait les espérances, les pronostics des plus optimistes. Les hommes les plus marquants de l’ancienne majorité monarchiste avaient été battus, et le chef du cabinet, M. Buffet, s’était vu infliger d’écrasantes, significatives défaites, tant aux élections sénatoriales qu’aux élections à la Chambre des députés. Nulle part il n’avait été élu !

La proclamation du scrutin provoqua une émotion considérable ; la Bourse s’émut et le 3 % baissa de 2 francs ; le monde officiel fut plongé dans la consternation et dans l’entourage du Président de la République ce fut de la stupeur. Partout, aussi bien par les candidats que par les agents de l’Administration empressés à pratiquer la candidature officielle, le maréchal de Mac-Mahon avait été engagé, découvert ; sa politique avait été mise en cause, pour ainsi dire soumise, par arrondissement, à un véritable plébiscite et c’était un véritable échec qu’elle avait rencontré. Ni les titres militaires, ni les engagements formels, ni la loyauté si invoquée du soldat de Magenta, n’avaient eu de succès auprès du suffrage universel ! Qu’allait-il advenir ? Quelles catastrophes politiques, nationales allaient se produire ? À Paris, « l’armée du désordre » s’était reformée, avait triomphé. Il n’en fallait pas davantage pour inciter l’entourage du maréchal à pousser à d’énergiques mesures, à un véritable coup d’état, et l’on y songea sérieusement.

Le maréchal était perplexe ; son cerveau peu formé aux choses de la politique, dégageait mal la situation exacte. Homme double, autant chez lui le soldat était résolu, énergique, autant le « civil » était indécis, perplexe. Il consulta tour à tour M. Buffet, et le duc de Broglie ; M. Buffet encore sous le coup des désastreux échecs éprouvés, était en proie à une profonde irritation ; son âme était noyée d’amertume et il conseilla l’action ou la résistance ; le duc de Broglie, lui, était pour la temporisation. Il fallait voir la Chambre à l’œuvre, d’abord ; il serait temps d’agir après, si l’occasion s’en présentait. Le maréchal