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la République son caractère réel et de la doter d’une Constitution et de lois conformes aux aspirations et aux besoins de la démocratie.

MM. Gambetta et Jules Ferry s’étaient faits les principaux interprètes de la fraction modérée et ils s’étaient nettement expliqués.

Partout où il avait pris la parole, à Lille, à Aix, à Avignon, à Bordeaux, à Paris, M. Gambetta avait prêché aux républicains la sagesse : il parlait bien de certaines revendications du traditionnel programme, mais il préconisait la méthode d’attente de M. Thiers dont il se rapprochait de plus en plus et qui suivait sa campagne avec un vif intérêt, de la retraite où il se confinait. L’éducation du suffrage universel n’était pas suffisamment faite ; il ne fallait pas l’effrayer par une action trop rapide. Il faisait appel aux hommes de sagesse, de bonne volonté, de patriotisme, leur demandant de se rallier à la République, une place large, honorable, leur y serait réservée. Il fallait avant tout s’occuper à réorganiser la France au point de vue militaire, financier ; l’orienter dans sa politique extérieure grosse de dangers. Sans doute, des réformes étaient nécessaires, attendues, telles que l’impôt sur le revenu, la séparation de l’Église et de l’État, la liberté de presse, de réunion et d’association, l’organisation de l’instruction laïque et obligatoire, mais c’étaient là des problèmes à ajourner. À Bordeaux, il avait déclaré : « Je me garde de dire que vos représentants les accompliront pendant leurs quatre années de législature ; je ne le crois pas et, si vous voulez toute ma pensée, je ne le veux pas ». Il exprimait ce désir que la Chambre fut « avant tout politique ». Et il se montrait ainsi l’interprète, le représentant exact de cette fraction de la bourgeoisie française, républicaine de tradition ou venue à la République par raison surgie de circonstances. La bourgeoisie française n’a pas su le comprendre et elle se montrera bien ingrate avec lui quand, plus tard, il prendra le pouvoir.

Dans les Vosges, M Jules Ferry, qui devait devenir un des hommes d’État les plus marquants et aussi un les plus impopulaires de la troisième République, affirmait la nécessité de faire preuve « d’esprit de mesure et de sagesse » ; il déclarait que « le moment n’est pas venu de renoncer à la politique de transaction. Traitons, ajoutait-il, les questions pratiquement, l’une après l’autre. Acclimatons la République ». Et, tandis que les plus avancés du parti républicain, dans leur programme électoral, inscrivaient la révision constitutionnelle, il disait : « Laissons les ennemis de nos institutions prendre la révision pour drapeau ». De tels discours, de telles déclarations avaient pour résultat de semer la défiance dans l’opinion contre les républicains qui affirmaient la nécessité de fonder une République vraiment républicaine, en les classant comme des complices, conscients ou inconscients, des réacteurs.

Le parti radical qui devait, dans la nouvelle Chambre, former l’extrême-gauche, avait, de son côté, mené une campagne très ardente à Paris et en province. Trop de concessions avaient été faites, disait-il aux modérés du centre ; il n’était que temps de remettre le parti républicain dans sa vraie voie.