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La campagne électorale est ouverte dans toute la France ; pour le Sénat, les scrutins sont fixés au 30 janvier ; pour la Chambre des députés, aux 20 et 27 février. Ces deux élections ont un caractère bien différent ; le Sénat doit être nommé, pour les deux tiers, par un suffrage très restreint ; la Chambre des députés par le suffrage universel et au scrutin d’arrondissement. Ces influences locales y auront une grande part, beau jeu ; elles joueront, dans certaines régions, un rôle prépondérant. Comme il fallait s’y attendre, le Sénat n’avait été créé que dans ce but, les résultats sont différents, pas autant, en apparence, qu’on l’avait prévu.

Au Sénat, la majorité est nuance présidentielle. En y comprenant les 75 inamovibles, il se décompose ainsi : Extrême-gauche, 15 ; Gauche républicaine, 50 ; Centre-gauche, 84 ; Constitutionnels, 17 ; Centre-droit et Droite modérée, 81 ; Extrême-droite, 13 ; Bonapartistes, 40.

À la Chambre des députés, la répartition des partis est la suivante : sur 333, on compte 98 républicains d’Extrême-gauche ; 194 de Gauche, 18 du Centre-gauche, 22 Constitutionnels, 75 Bonapartistes, 20 Légitimistes, 55 députés de Droite et du Centre-droit. Le groupe le plus fort était celui des républicains suivant l’orientation de M. Gambetta.

La campagne électorale avait été fort calme, mais d’une activité extraordinaire. Chaque parti avait fait un effort considérable, surtout sur le terrain législatif. Des résultats du scrutin allait dépendre la mise en application de la nouvelle Constitution. Les réunions publiques n’avaient été tolérées que durant la stricte période légale et les banquets avaient été interdits. Le gouvernement, lui-même, s’était trouvé fort embarrassé pour agir, car deux camps s’étaient formés dans le sein même du Cabinet ; le camp anti-républicain groupé autour de M. Buffet ; le camp républicain, très modéré, il est vrai, mais enfin républicain, se prononçant pour la mise en vigueur loyale du régime républicain, représenté par MM. Léon Say et Dufaure ; une crise avait failli se produire, mais M. Buffet avait cédé. Ses amis et lui comptaient, du reste, plus sur leurs agents que sur eux-mêmes. En effet, un grand nombre de préfets exercèrent une pression administrative aussi forte qu’impudente. Mais le suffrage universel avait son siège fait et si les électeurs sénatoriaux hésitèrent, lui n’hésita pas ; il se prononça nettement.

À Paris, comme dans le reste de la France, la préoccupation dominante fut surtout d’ordre politique. Il fallait, à tout prix, consolider la République en l’arrachant à une majorité monarchiste. Les questions économiques et la question sociale y tinrent une place fort restreinte. Cependant, le mouvement républicain, à cette heure de lutte suprême, ne fut pas compact, au contraire. Le combat s’engagea fort résolument entre ceux qui conseillaient la modération, la « sagesse », et ceux qui estimaient qu’après avoir fait le grand sacrifice à l’idée républicaine d’accepter une constitution plutôt monarchiste, il fallait préparer pour l’avenir une révision qui permettrait de donner enfin à