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les fautes de ce régime cependant condamné par son origine et ses traditions à une politique extérieure, belliqueuse, ne laissant pas à l’opinion le loisir de la réflexion. Il n’a pu oser, même modeler son organisation militaire sur celle de l’ennemi certain, fatal, auquel il était appelé à se heurter, organisation préparée depuis le lendemain d’Iéna, en 1806, et qui venait de se révéler si puissante, en 1866, durant la campagne de Bohême. Cependant, tout bien examiné, l’instruction à elle seule n’est pas un facteur de révolution ; l’Allemagne a mis en pratique depuis longtemps l’instruction primaire ; son peuple est le plus instruit ; c’est lui qui, depuis plus d’un demi siècle, a compté le moins d’illettrés, ce qui ne l’empêche pas d’être un des plus soumis aux autorités, d’être le moins agité par les crises politiques. Tout dépend des conditions dans lesquelles est donnée l’instruction, surtout l’éducation qui est sa compagne obligée, son complément nécessaire. L’instruction meuble plus ou moins le cerveau, — c’est une question de programme, mais l’éducation forme les consciences et apprend aux hommes à se servir des éléments fournis par l’instruction. Elle peut être la meilleure ou la pire de choses. Il est surprenant que les monarchies et l’Empire qui se sont succédé en France, depuis la formidable débâcle de 1814 et 1815, ne l’aient pas compris.

La bourgeoisie française, même après la guerre, a mis du temps à comprendre ces nécessités et ces faits ; il a fallu, pour qu’elle se décide à intervenir, la pression de l’opinion publique et encore ne s’y est-elle résignée que quelque temps après la fondation régulière de la République. Il en a été, du reste, de même pour l’organisation de la défense nationale, encore si incertaine après trente-six années de laborieux efforts et des sacrifices qui se chiffrent par milliards.

C’est que la préoccupation dominante de la classe possédante et dirigeante, dans les divers partis qui la composent, c’est surtout la défense du système qui assure ses privilèges économiques. Même quand des sentiments élevés la hantent, telle l’indépendance de la nation, elle oscille entre les mesures qui s’imposent jusqu’à l’évidence et les dangers qui peuvent en résulter pour ses intérêts. Elle est affligée d’un « conservatisme » aveugle qui l’empêche de s’orienter ; tout est pour l’effrayer et elle s’effare à la moindre crise intérieure ou extérieure qui surgit, car elle n’a su prendre que des mesures incomplètes pour les prévenir ou y faire face.

Ce sont ces préoccupations, encore fortes aujourd’hui, parmi une fraction notable du parti républicain, qui marquent l’évolution à dater de l’année 1876. Quant aux partis de réaction proprement dits, ils ne cessent leurs tentatives en vue de regagner le terrain perdu. C’est l’œuvre à laquelle s’attachent les cabinets qui se succèdent et, phénomène curieux mais au fond normal, tout réactionnaires ou modérés que pourront être les cabinets, ils paraîtront tellement révolutionnaires que, parfois, ils deviendront un sujet d’épouvante pour le Président de la République harcelé par son entourage.