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de passionnées et parfois orageuses séances. Le scrutin d’arrondissement fut adopté. Enfin, il fut procédé à l’élection de 75 sénateurs inamovibles. Cette élection donna lieu aux intrigues, aux combinaisons, aux alliances les plus invraisemblables, les plus inattendues. Il fallut plusieurs séances pour en terminer et les scrutins divers ne passèrent pas sans déchaîner de violents orages. Le parti orléaniste représentait pour les républicains le danger le plus sérieux ; l’extrême droite légitimiste lui tenait rancune de ses manœuvres peu franches et les bonapartistes l’exécraient ; ce fut contre lui que se formèrent les coalitions, ce fut lui le véritable vaincu. C’était le parti républicain qui, quoique minorité, restait maître du champ de bataille avec plus de cinquante élus. M. le duc Decazes, ministre des affaires étrangères, éprouvait un échec lamentable car il n’avait recueilli que 117 voix.

L’Assemblée est arrivée au terme de ses travaux essentiels ; elle n’a plus de raison d’être ; elle ne peut continuer sa résistance au mouvement de l’opinion ; elle va se séparer pour jamais ; avant son départ elle pourrait avoir un beau geste, un geste de générosité ; la droite ne veut pas et la gauche n’ose. M. A. Naquet a déposé une proposition d’amnistie. Elle est repoussée par la question préalable réclamée par M. Langlois, un des plus violents, des plus sectaires modérés de la gauche. Cependant ils sont nombreux ceux que leurs familles et leurs amis attendent. Le 1er juillet 1875, suivant le rapport de M. Voisin, au nom de la Commission des grâces, il reste encore 233 hommes et femmes au bagne ; 3.609 déportés ; en prison 1.647 personnes, sans compter les proscrits très nombreux répandus dans toute l’Europe et en Amérique, mais plus particulièrement en Suisse, en Belgique et en Angleterre. L’état de siège est en vigueur dans 27 départements où le parti républicain et sa presse sont livrés à l’arbitraire militaire ; l’Assemblée n’y veut rien changer ; à Alger seulement l’état de siège est levé.

Enfin, le 31 décembre 1875, à six heures, l’Assemblée se prorogeait jusqu’au 8 mars 1876, date à laquelle, par suite de la réunion de la Chambre et du Sénat, ses pouvoirs devaient prendre fin. Ce fut un soupir de soulagement qui accueillit sa disparition si longtemps et si impatiemment attendue. Elle avait été haineuse, incohérente et son impuissance avait été telle qu’avec une énorme majorité rétrograde elle n’avait pu que fonder la République, objet de ses haines les plus intenses. Elle emportait l’exécration des républicaine sincères, des socialistes, pour l’œuvre sanglante par elle accomplie de Mars à Mai 1871. Elle restera devant l’histoire l’Assemblée de la capitulation devant l’ennemi et de la réaction sous ses aspects les plus sombres.

Tandis que se déroulait l’année 1875, la France avait traversé des heures de poignante angoisse. Elle s’était trouvée à deux doigts d’une guerre avec l’Allemagne dont le gouvernement s’inquiétait de sa réorganisation militaire et de sa grande vitalité s’affirmant de jour en jour. Elle fut heureusement évitée ; nul ne peut dire quelles en eussent été les conséquences.