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ennemis irréconciliables ? Il ne peut nier l’action des groupes césariens, mais il se retourne vers la gauche et il tente une perfide diversion en insinuant que, dans ses rangs, de même qu’auprès des proscrits de la Commune et des agents de l’Internationale, à Bruxelles, à Genève, à Londres, le « parti de la Révolution sociale et cosmopolite » prend son mot d’ordre ; qu’il a, lui aussi, ses groupes organisés, ses cadres et ses chefs. M. Gambetta proteste avec une grande énergie contre l’insinuation qui, il est inutile de l’affirmer, n’a rien de fondé ni même de vraisemblable. M. Buffet remporte une grande victoire, car la gauche presque entière, après le rejet de l’ordre du jour pur et simple, s’est retirée en signe de protestation et l’Assemblée adopte, par 444 voix contre 2, un ordre du jour de confiance que MM. Savary lui-même et Jules Favre ont voté !

Par intermittence, avec une grande lassitude, parfois une grande incohérence, l’Assemblée nationale élabore des lois diverses, concède aux grandes compagnies d’importants réseaux de chemins de fer, poursuit la discussion des lois constitutionnelles. Enfin, le 2 août 1875, en troisième délibération, par 533 voix contre 72, après une dernière protestation énergique du légitimiste irréductible, M. de Franclieu, la loi sur le Sénat est adoptée.

Chaque jour qui s’écoule rapproche l’échéance fatale, si vivement espérée par le pays ; le mouvement dissolutionniste s’accuse et prend un rare caractère d’intensité. On a hâte de voir partir cette funeste Assemblée qui laisse l’impression d’une série de cauchemars tour à tour tragiques ou grotesques. Les vacances qui précèdent la dernière session donnent le spectacle d’une véritable veillée d’armes électorale. Chaque parti prend position. Dans le ministère un profond désaccord se manifeste entre M. Léon Say et M. Buffet. Le comte de Chambord lance une façon de manifeste qui trahit un profond découragement. M. Thiers prononce à Arcachon un discours dans lequel il paraphrase avec sa prolixité coutumière son mot fameux : « La République sera conservatrice ou elle ne sera pas ». En Corse, M. Rouher affirme les espérances toujours vivaces des bonapartistes et M. Gambetta, le 25 octobre, dans une lettre aux républicains lyonnais, trace le programme qu’il a définitivement adopté qui n’est autre que celui du centre gauche quelque peu étoffé, élargi, mais en apparence seulement. C’est dans cette lettre qu’est sertie la phrase qui, à l’époque, eut un énorme retentissement : « Les nouvelles couches sociales sorties de la Révolution française et du suffrage universel, réconciliées avec l’élite de la vieille société, nous pourrons enfin achever, par l’alliance intime et chaque jour plus féconde du prolétariat et de la bourgeoisie, l’immense évolution commencée en 1789 ».

C’est sous les impressions fortes et diverses causées par les agitations qui marquèrent ces vacances que l’Assemblée se trouva réunie le 4 novembre. Il lui restait pas mal de besogne, une foule de projets de lois d’ordre divers, le budget de 1876 ; elle avait à fixer le mode de votation pour la Chambre des députés, à dire si l’état de siège serait levé ou maintenu à Paris et dans les départements où il avait été proclamé. Chacune de ces lois devait provoquer