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en attendant que la Chambre des députés et le Sénat se réunissent, les partis se livrent de rudes batailles. L’action cléricale si intense partout se manifeste dans le Parlement, dans le domaine de l’enseignement. Le parti ultramontain comprend bien que s’il réussit à conquérir les cerveaux, sa cause et celle de la réaction ne seront pas tout à fait perdues ; il venait d’imposer à Paris le témoignage tangible de sa puissance en posant, le 16 juin, la première pierre de la basilique du Sacré-Cœur, sur cette butte Montmartre où s’étaient déroulées les premières, grandioses et tragiques phases de la révolution du 18 mars ; il participe maintenant et victorieusement, à la discussion de la loi sur l’enseignement supérieur, invoquant avec l’évêque d’Orléans, M. Dupanloup, la liberté, avec M. Chesnelong le « droit propre et supérieur » de l’Église catholique en matière d’enseignement et, malgré les efforts de M. Jules Ferry, même de M. Jules Simon qui mirent à nu la manœuvre cléricale, il se trouva une majorité pour adopter la loi d’où surgirent cinq universités catholiques, le principe de la collation des grades par l’État ayant été repoussé. Par ce moyen l’Église comptait préserver au moins une notable partie de la jeunesse aristocratique et bourgeoise de la contamination républicaine et libre-penseuse. Pas un gouvernement, monarchiste ou bonapartiste, n’aurait toléré qu’un monopole d’enseignement supérieur, même catholique, fût dressé en concurrence du sien.

L’Église, à travers son évolution si longue, si variée, si contradictoire, au moins quant aux apparences, a fréquemment montré, plus qu’à cette époque, de la souplesse et de l’habileté, en s’adaptant aux circonstances, pour rester maîtresse de l’orientation politique et sociale. À bien observer la profonde transformation qui, sous l’irrésistible poussée des événements, s’accomplissait en France, elle aurait dû et pu comprendre que sa puissance morale n’était en rien menacée par la bourgeoisie française, aussi intéressée qu’elle à conserver les lignes essentielles de l’organisation sociale qui lui garantit ses privilèges politiques et économiques. Elle avait trop escompté la possibilité d’une restauration et elle s’était laissée entraîner dans la bataille des partis, au lieu d’attendre de quel côté se fixerait la victoire ; sa part de curée lui eut été réservée certainement, tous les conservateurs devant compter avec son influence encore très grande. Elle ne le comprit pas et ce fut un bonheur pour la France et la République.

Restait aussi à liquider l’affaire de la conspiration bonapartiste ; l’occasion s’en présenta avec l’élection de M. de Bourgoing dans la Nièvre ; il fut invalidé à une faible majorité, du reste, de 21 voix sur 639 votants. MM. Raoul Duval et Rouher intervinrent et le gouvernement fut directement mis en cause. Quelle attitude allait-il prendre ? C’était là un point important, puisque les bonapartistes, malgré qu’ils ne fussent qu’une fort modeste minorité, constituaient un appoint parfois non négligeable, M. Buffet était fort embarrassé ; l’Assemblée était troublée, houleuse. Désavouera-t-il le préfet de police qui a donné des preuves irréfutables de la conspiration ? Se fera-t-il des bonapartistes des