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Comme cela avait été pratiqué, non sans un grand succès, en 1848, après les journées de juin et à la veille du coup d’État, aussi vers la fin de l’Empire, même par les républicains, on allait exploiter les mêmes injures, les mêmes calomnies. Avec une unanimité touchante et caractéristique, conservateurs monarchistes ou bonapartistes et conservateurs républicains allaient le présenter comme un danger commun pour le pays, pour l’ordre et la propriété. De cette situation naissaient, pour les propagandistes, déjà peu nombreux et ne disposant que de moyens restreints, pour ainsi dire d’énormes difficultés matérielles et morales. Néanmoins, déjà, au moment où, toute frêle, plutôt prête à les mordre qu’à leur sourire, la République emmaillotée dans une Constitution monarchiste, les propagandistes, tout en s’affirmant républicains résolus à tout pour combattre et écraser les partis conservateurs monarchistes, commençaient à conquérir des cerveaux prolétariens.

Leur thème était simple : la République ne doit pas seulement proclamer des droits ; elle doit en faciliter, en garantir l’exercice complet. Le premier droit humain est de vivre, de se développer intégralement. Nul n’a le droit de vivre au détriment du travail des autres. Tout être qui est apte à travailler doit jouir du produit intégral de son travail, ses charges sociales étant acquittées. Tout être qui n’est pas apte au travail, enfant, infirme, vieillard doit pouvoir vivre au même titre et dans les mêmes conditions que les autres. La cause de la misère, de l’incertitude dans lesquelles végète et souffre le travailleur se trouve dans ce phénomène que les moyens de produire, capitaux, matières premières et instruments de travail sont possédés par d’autres que par lui ; qu’il est obligé, sous peine de ne pas travailler c’est-à-dire de mourir de faim, de louer ses bras et sa capacité professionnelle, aux conditions fixées par les employeurs. Ces conditions sont déterminées par les bénéfices nets recherchés par les employeurs et par ses frais généraux, parmi lesquels le salaire nécessaire au travailleur pour vivre, continuer son travail et se reproduire. L’évolution économique, le développement du machinisme, la création de grandes usines, la constitution de sociétés financières dans un but industriel ou commercial, ont modifié quant à l’aspect et à la réalité, la propriété. Il s’opère une concentration de plus en plus grande des capitaux et des moyens de produire qui ont transformé le patronat lui-même. Au fur et à mesure que s’accomplit cette concentration, dont un des résultats est de donner des produits à meilleur marché, se constitue une féodalité de plus en plus forte entre les mains de laquelle passe toute la fortune publique ; les rangs du prolétariat proprement dit grossissent du nombre des petits patrons qui ne peuvent résister à la concurrence mieux armée et mieux outillée, maîtresse de tous les marchés. Il faut donc transformer, au profit de tous, en propriété sociale, la propriété qui est devenue ou deviendra féodale.

Pour atteindre ce résultat, il faut que les travailleurs se constituent, sui-