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est adopté à une majorité de 31 voix sur 601 votants. Mais voici que la désorientation se change en naufrage ; car le passage à une troisième délibération est repoussé par une majorité de 23 voix sur 713 votants.

Une fois de plus l’Assemblée nationale vient de manifester son impuissance. Il est vraiment temps qu’elle s’en aille, qu’elle laisse au suffrage universel le soin de nommer une Constituante, car c’est d’une constitution dont il a besoin pour sortir de l’incertitude dans laquelle il est plongé et est pour lui une source de constantes inquiétudes ; MM. Vautrain, Waddington déposent des amendements espérant qu’ils constitueront des moyens de conciliation ; vains efforts.

M. Henri Brisson dépose une proposition de dissolution pour laquelle il réclame le bénéfice de l’urgence. M. Raoul Duval l’appuie avec énergie. Le tumulte que provoque le déchaînement des plus violentes passions couvre la voix des orateurs ; le président lui-même est impuissant. L’énervement est à son comble. Le duc Decazes, au nom du cabinet, accepte la responsabilité de la déclaration au nom du président de la République ; il demande à l’Assemblée de ne pas se dissoudre et de poursuivre l’œuvre constitutionnelle entreprise. Il le fait avec tant d’âpreté que M. Gambetta monte à la tribune et, aux applaudissements de la Gauche toute entière, prononce un discours bref, mais véhément, qui produit une vive impression dans l’Assemblée :

« Messieurs, dit-il, on vient de nous apprendre comment, à l’aide de certaines habiletés de procédure parlementaire, on pouvait défaire les majorités vraies et constituer des majorités factices […]

« Messieurs, nous vous avions donné le spectacle d’un parti que vous aviez souvent qualifié d’intransigeant, d’excessif, d’exclusif, et rebelle à tout compromis, à toute transaction politique ; nous vous avions donné ce spectacle non sans quelque courage et sans de grands sacrifices de la part de nos aînés et de nos devanciers dans la vie politique, nous vous avions donné ce spectacle de nous associer à vous et de vous dire : Conservateurs, vous voulez bien reconnaître qu’après l’échec et l’avortement définitif de vos espérances monarchiques, il est temps enfin de donner à la France un gouvernement qui pourra rester dans vos mains, si vous êtes sincères et véritablement épris de ces principes libéraux dont vous nous parlez sans cesse et dont vous suspendez constamment l’application.

« Nous vous avons dit : Eh bien, nous faisons taire nos scrupules : prenons sur nous de faire aux nécessités générales de l’État, troublé au dedans, menacé au dehors, et qui a plus besoin que jamais de gagner sur les heures s’écoulent un temps que lui convoite la jalousie de ses adversaires dans le monde ; nous prenons sur nous de capituler entre vos mains si vous voulez faire un gouvernement modéré et conservateur. Nous avons consenti à diviser le pouvoir, à créer deux Chambres ; nous avons consenti à vous donner le pouvoir exécutif le plus fort qu’on ait jamais constitué dans un pays d’élection