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direction et les modérés de gauche vont fréquemment marcher avec eux pour faire que la République proclamée reste aussi conservatrice, aussi monarchique que possible. Après la proclamation de la responsabilité collective des ministres et de leur responsabilité individuelle devant les Chambres, la responsabilité du président dans le seul cas de haute trahison, l’élection par les deux Chambres du Président de la République en cas de vacance, l’Assemblée vote l’article 6, qui porte que les deux Chambres auront le droit, par délibérations séparées, prises dans chacune à la majorité absolue des voix, soit spontanément, soit sur la demande du Président de la République, de déclarer qu’il y a lieu à réviser les lois constitutionnelles et qu’elles y procéderont en se réunissant en Assemblée nationale, mais avec cette restriction que, durant les pouvoirs conférés au maréchal de Mac-Mahon, lui seul aura le droit de proposer la révision. C’était l’empreinte monarchiste bien caractérisée ; elle est dans la tradition royaliste ; elle a pénétré et elle marque maintenant, depuis 1875, la tradition républicaine bourgeoise, puisque, malgré la constitution de majorités républicaines très fortes dans le parlement, elle est restée dans la constitution qui nous régit ; ils sont relativement très rares ceux qui, au Luxembourg au Palais-Bourbon, parlent de supprimer ce droit de dissolution.

Malgré son calme, Paris républicain décimé, faisait encore peur, aussi l’article 7 stipula-t-il que le siège du pouvoir exécutif et des deux Chambres resterait à Versailles. L’Assemblée décida à une énorme majorité qu’elle procéderait à une troisième délibération et elle prit quelques jours de repos, jusqu’au 11 février, date à laquelle elle entreprit la deuxième délibération de la loi sur le Sénat.

Aux yeux des membres de la Droite, le Sénat devait jouer un rôle important, le rôle de refuge et de place forte de tous les ennemis de la République : par la puissance même que lui donnait la constitution, avec la collaboration du président de la République, il pouvait entraver, annihiler tous les efforts d’une majorité républicaine occupant la Chambre des députés. Ses pouvoirs étaient définis ou à peu près, le problème capital résidait dans son mode de recrutement.

Le rapporteur du projet de loi, M. A. Lefèvre-Pontalis avait fidèlement résumé ma pensée de la Droite et même des timorés des Centres : « Nous voulons opposer au parti révolutionnaire une barrière suffisante pour qu’il ne puisse pas s’emparer légalement du pouvoir ». Le « parti révolutionnaire » ne comprenait pas seulement l’Extrême-Gauche parlementaire et « les éléments de désordre », mais il englobait jusqu’aux amis les plus « sages » de M. Gambetta ! Et l’article du projet élaboré par la Commission disait que le Sénat serait composé de sénateurs de droit, de sénateurs nommés par le président de la République, de sénateurs élus par les départements et qu’il ne pourrait compter plus de trois cents membres. En première lecture, les républicains, y compris M. Jules Simon, avaient repoussé l’institution du