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La première question qui se posa et sur laquelle, tout naturellement, devait se greffer le débat constitutionnel, fut celle relative à la création du Sénat. Pour tous les partis qui allaient se trouver en présence de problèmes politiques exigeant des solutions précises, elle avait une importance capitale ; elle en avait une considérable pour le maréchal-président. Pouvait-il rester, pouvait-on le laisser désarmé en présence d’une seule Chambre souveraine, alors que l’évolution du suffrage universel y préparait une minorité conservatrice de plus en plus réduite ? Et si, pour un motif ou pour un autre, l’Assemblée nationale venait à se dissoudre, — malgré tous ses désirs, elle ne pouvait se prolonger plus longtemps, — que deviendrait-il en face d’une Chambre dont la majorité serait certainement républicaine ? Or, le maréchal de Mac-Mahon devenait déjà suspect aux droites et sa situation était extrêmement délicate ; son entourage et lui s’en montraient préoccupés.

C’est de ces préoccupations que s’inspirait le message lu à l’Assemblée par le ministre du commerce réclamant la mise à l’ordre du jour, dans le plus bref délai, de la loi relative au Sénat. Il n’en fallait pas davantage pour mettre en émoi tout le monde parlementaire ; c’était la première escarmouche d’une grande et décisive bataille. La question allait se poser entre la République et la Monarchie. C’est avec anxiété que le pays tout entier s’attacha à suivre les comptes rendus des séances qui allaient se succéder.

La Commission des Trente n’était pas restée inactive : bien des intrigues s’y étaient nouées ; son président, M. Batbie, monta à la tribune pour demander en son nom la mise à l’ordre du jour des deux projets de lois relatifs au Sénat et à l’organisation des pouvoirs publics qu’il considérait comme étroitement reliés ; toutefois, il déclara que la Commission acceptait que la loi sur le Sénat fut discutée la première. Mais MM. de Laboulaye et Jules Simon firent des interrogations gênantes. Pour quel gouvernement veut-on organiser le Sénat ? Avons-nous oui ou non une République ? Le ministre de l’intérieur, le général de Chabaud-Latour, avec une rondeur et une candeur toutes militaires, déclare que le Sénat doit être organisé pour le septennat. Il n’en faut pas davantage pour qu’une majorité faite des gauches, du centre-gauche et de l’extrême-droite légitimiste qui se sent jouée par les orléanistes, refuse la priorité au projet de loi sur le Sénat. C’est un échec grave pour le président de la République ; c’est la chute du cabinet qui démissionne mais est prié de rester en fonctions, en attendant que la situation plus nettement dessinée permette de former un autre ministère ; il va supporter le poids trop lourd pour lui d’une série de discussions les plus compliquées, les plus violentes qu’enregistrent les annales parlementaires.

Durant une semaine environ, le débat est suspendu ; tandis que l’Assemblée s’occupe à l’étude de l’importante loi militaire des cadres, les stratégistes de droite emploient leur temps à manœuvrer ; des conciliabules se tiennent ; les princes d’Orléans y jouent un rôle très actif ; il faut prendre une attitude nette