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des déclarations peu faites pour être agréables aux conservateurs : à M. Testelin, ancien commissaire de la Défense nationale et aux députés du Nord, le 11 septembre, il disait « qu’il entendait appeler à lui les hommes modérés de tous les partis ».

C’est au cours de la session ouverte le 5 janvier 1875 que devait s’engager la laborieuse, chaotique rencontre d’où allait sortir une constitution, républicaine seulement de nom, votée par une majorité pour ainsi dire imperceptible, mais dont néanmoins l’influence devait être aussi considérable qu’heureuse sur les destinées de la France.

Tous les groupes avaient pris position, chacun avec l’espoir de tirer le plus grand profil du débat. À droite, les légitimistes restaient sur leur terrain d’intransigeance ; ils avaient la sensation bien nette et très justifiée, du reste, que les orléanistes manœuvraient en vue de les duper ; les bonapartistes escomptaient l’imprévu ; se faisant des illusions sur leurs récents succès électoraux et l’activité de leurs comités, ils estimaient qu’une crise grave surgissant leur permettrait d’agir ; ils en étaient capables, nul scrupule ne pouvait les arrêter dans leurs calculs. Les orléanistes, eux, dans la droite, étaient la grande majorité et ils avaient toujours l’espoir que le centre gauche pourrait leur revenir, chaque manifestation électorale accusant les progrès du « radicalisme ». Quant au parti républicain, tout désireux qu’il fut de voir la République devenir la définitive forme de gouvernement, il se montrait, comme nous l’allons constater, fort divisé sur des points très importants. Il se subdivisait en trois groupes, le Centre qui suivait l’orientation tracée par M. Thiers : « la République sera conservatrice ou elle ne sera pas », la Gauche proprement dite manœuvrant sous la direction à la fois souple et impérieuse de M. Gambetta ; enfin l’Extrême-gauche de formation récente qui, se tenant plus sur le terrain des principes traditionnels du programme républicain, trouvait que M. Gambetta et ses amis se rapprochaient trop du Centre, faisaient trop de concessions aux modérés ; composée d’éléments fort divers, elle affirmait sa volonté de ne pas fléchir dans ses revendications.

Pour tous les partis, la situation parlementaire devenait plus délicate que jamais, en ce sens que la plus légère faille pouvait compromettre la solution chère à chacun d’eux. Elle n’était pas moins délicate pour le gouvernement, président de la République et ministère. Le président avait réclamé la stabilité sans laquelle, avait-il solennellement affirmé, il manquait d’autorité pour accomplir sa mission, d’où nécessité d’organiser ; mais organiser quoi ? le provisoire, disaient les membres du ministère représentant les droites, qui ne pouvaient manœuvrer qu’à la faveur du provisoire. Parmi les plus importants conciliabules tenus en vue de concerter une ligne de conduite, il importe de signaler celui tenu à la présidence même, le maréchal présent, dont le but était de ramener le centre gauche vers la droite, il échoua et la bataille s’engagea définitivement.