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droite étaient à vau-l’eau ; aussi ceux du gouvernement ; dans l’impossibilité où l’on se trouvait de donner une solution quelconque au problème constitutionnel qui se posait, la majorité de l’Assemblée se décida à partir en vacances le 31 juillet ; elle devait se reposer jusqu’au 3 novembre !

C’est un fait constant que chaque parti affiche hautement la prétention d’avoir avec lui le pays, parce qu’il affirme ne travailler que dans son intérêt. C’est là le point essentiel de tout programme d’action politique. Quand on va au fond des choses, quand on observe plus particulièrement l’évolution de la France depuis un siècle, on en arrive à conclure que chaque parti, même le plus infime, le plus décrié, a raison, même aux heures où le mouvement de l’opinion publique le plus énergiquement hostile semble lui donner tort. Car elle est profonde la différence existant entre le sentiment général tel qu’il est et les sentiments varies, changeants, presque toujours factices, qu’exprime l’opinion.

La conscience individuelle est le résultat d’une culture morale développée ; elle est difficile à former ; c’est elle qui affirme la personnalité de l’individu ayant une suffisante notion de ses intérêts, de ses droits, de ses devoirs personnels et sociaux. La conscience collective, elle, n’existe pas ; rien n’a contribué à la former ; elle ne peut être encore, parce qu’elle implique l’idée d’harmonie, d’équilibre dans les conceptions, l’orientation, l’action collective basée sur la solidarité, la liberté, l’égalité et que le milieu social est fait d’antagonismes, d’incohérences, de conflits incessants qui suscitent l’individu contre l’individu, le groupe humain contre le groupe humain, la collectivité contre l’individu. C’est le désordre qui domine le fonctionnement des organismes sociaux. Chaque parti tour à tour a bénéficié, — le cycle n’est pas encore clos — de cet état de choses ; il y faut voir l’explication de ces revirements brusques qui font se succéder les formes de gouvernement les plus disparates, les plus opposées.

L’opinion publique est formée par des minorités relativement infimes qui s’agitent, que des circonstances favorisent et qui ne sont que le reflet, plus ou moins exact, des aspirations toujours vagues ou des besoins fréquemment mal compris, mal interprétés de la collectivité, auxquels il faut ajouter ses élans ou ses paniques.

Quand, dans l’Assemblée nationale, les différents groupes politiques s’agitaient, tous pouvaient avoir des espérances : ceux qui, comme les républicains, avaient gagné du terrain, comptaient en conquérir encore ; ceux qui en avaient perdu, comme les royalistes, en reconquérir ; les bonapartistes eux-mêmes, désarmés au point de vue parlementaire, ne reprenaient-ils pas pied dans certains départements ?

Cependant, au moment où allait se débattre le problème constitutionnel, il était impossible de ne pas tenir compte du mouvement électoral qui s’était produit depuis la réunion de l’Assemblée nationale jusqu’en septembre 1874 ; il était caractéristique, puisque sur les 166 sièges devenus successivement vacants,