CHAPITRE XXIII
Suivant un mot fameux, la France s’ennuyait, malgré son activité économique qui semblait devoir l’absorber ; elle s’ennuyait et s’énervait parce qu’elle se sentait le jouet des partis. Jamais, depuis la Révolution française, elle ne s’était autant occupée de politique ; cette fois, c’était une politique élémentaire, pratique, liée à des intérêts matériels tels qu’en majorité elle les comprenait qui sollicitait son attention, excitait son inquiétude et orientait ses efforts. Aucun grand principe ne la passionnait comme cela était advenu en 1789, 1792 et 1848 ; si elle s’éloignait des monarchistes, c’est que leurs intrigues étaient une source d’agitations, de crises ; que leurs projets de restauration, s’ils avaient abouti, auraient entraîné de profondes perturbations et fait naître des aventures ; elle voulait travailler, se refaire en toute tranquillité, estimant qu’il y avait déjà assez pour elle de difficultés et de sacrifices à acquitter de lourds impôts. Elle avait peur de la politique de casse-cou des bonapartistes ; il fallait en payer les frais et, cependant, s’il eût fallu opter, elle eût plutôt incliné vers ces derniers, parce qu’en la masse populaire persistait, comme un héritage des grands jours évanouis, la haine des aristocrates et du prêtre, non de la religion ; ceci était habilement exploité par la faction plébiscitaire, qui connaissait à merveille l’opinion. Elle ne pouvait oublier, cette faction, qu’en 1848, lors de l’élection de décembre, si quelques départements blancs avaient voté contre le prince Louis Napoléon Bonaparte, les départements « bleus » et même les départements « rouges » lui avaient, en masse, donné leurs suffrages.
Phénomène paradoxal, la démagogie bonapartiste avait pu passer aux yeux de la France affolée par les calomnies conservatrices contre la démocratie républicaine, comme le plus sur rempart de défense de l’ordre !
Toutefois, il faut en convenir, cette crise morale, si elle provoqua de légitimes anxiétés, devait être de brève durée. L’élément rural, agricole, sur qui les bonapartistes comptaient le plus n’eut pas peur de la République ; c’est vers elle qu’il s’achemina résolument, c’est l’élément qui, avec le Parti socialiste