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outrage, c’est une flétrissure, et je la maintiens ». La gauche tout entière acclama M. Gambetta, tandis que les droites restaient silencieuses, à l’exception du groupe bonapartiste déchaîné, mais impuissant, au moins dans l’enceinte de l’Assemblée ; sa force réelle devait se manifester au dehors, dans Paris même, le soir, à l’heure de la rentrée des députés habitant la capitale. La gare Saint-Lazare fut le théâtre de scènes d’une rare violence : une foule énorme s’y pressait tant au dedans qu’au dehors ; des détachements de police avaient été concentrés, prêts à agir. Ils agirent, en effet, avec une partialité et une brutalité dignes des jours les plus sombres de l’Empire. Dispersant de parti-pris et exclusivement les manifestants qui acclamaient les députés républicains, facilitant leur tâche aux agents bonapartistes très nombreux, dont l’un assaillait lâchement M. Gambetta et le blessait au visage, arrêtant deux députés républicains, MM. Léfèvre et de Mahy ; la police prouvait à M. Rouher et à ses acolytes qu’ils pouvaient compter sur elle en toute circonstance.

Le danger paraissait grave, car dans l’armée de nombreux officiers, même des généraux, ne cachaient pas leurs sympathies, leur attachement au régime déchu et flétri. À la vérité, si le gouvernement se refusait à ouvrir une enquête sur des faits aussi sensationnels, pour donner une apparence de satisfaction à la majorité de l’Assemblée et à l’opinion, il suspendait pour une quinzaine le journal Le Pays, accumulateur et distributeur des injures les plus ignobles et les plus violentes, mais par compensation il frappait de la même mesure Le Rappel et Le XIXe Siècle, sous prétexte que leurs polémiques dépassaient le ton tolérable !

La France entière avait été fortement impressionnée par la révélation de M. Girerd, par les troubles violents de la gare Saint-Lazare, par l’attitude de la police, par les explications équivoques et l’inactivité du gouvernement. Le danger royaliste avait pour ainsi dire disparu ; le danger clérical était encore évident ; le péril bonapartiste apparaissait le plus immédiat, le plus menaçant ; le provisoire très indéfini que représentait le septennat ne pouvait que favoriser ses progrès ; il était urgent de réagir. Ce fut le centre gauche, le groupe des ralliés par raison, le groupe des timides, des ultra-modérés qui prit l’initiative en faisant déposer le 15 juin, par M. Casimir Perier, une proposition tendant à imposer à la Commission des lois constitutionnelles comme base de ses travaux : 1o le gouvernement de la République française se compose de deux Chambres et d’un Président chef du pouvoir exécutif ; 2o la loi du 20 novembre 1871, par laquelle la présidence de la République avait été confiée au maréchal de Mac-Mahon jusqu’au 20 novembre 1880 ; 3o la consécration du droit de révision partielle ou totale de la Constitution, dans des formes et à des époques que devait déterminer la loi constitutionnelle.

La caractéristique de cette proposition se trouvait dans l’exposé des motifs dirigés surtout contre l’audace du parti bonapartiste qui constituait un réel danger, l’impossibilité de rétablir une monarchie, la nécessité de donner à la